31 janvier 2014
Jean-Michel Jarre: "Piratez-Moi…" (Numéro 1, 07/07/1983)
Jean-Michel Jarre n’aime pas la banalité et la vie du commun des mortels. Super star il l’est, super star il veut le rester. Pour cela, taus les moyens sont bons. II y a deux ans, le 14 juillet, Jean-Michel donnait, place de la Concorde, une messe républicaine pour synthétiseurs de choc. Plus de 100 000 personnes étaient au rendez-vous: les télévisions, les radios et la presse faisaient une haie d’honneur au nouveau Mozart des synthés. Une video immortalisait l'événement pour la postérité. Outre ses disques d’or et de platine, sa carrière internationale, enviable, et ses plans démentiels (investir l’Opéra de Paris avec sa musique, devenir le metteur en scène musical de nos espaces quotidiens : gares, aéroports, etc.), Jarre cultive son statut de star, et soigne avec minutie l’image du créateur un peu fou. Au milieu d’une machinerie électronique, insondable pour le reste de l’humanité. Que faire pour rester au sommet ? Faire parler de soi, toujours, surtout lorsque l'on est conscient que sa musique se dévalorise d’année en année.
Tel est l’objectif de Jean-Michel Jarre aujourd’hui. Publicité maximum et mise en scène bien étudiée pour une opération unique en son genre. En effet, Jean-Michel Jarre compose un album qui sera unique: il n’y aura qu’un exemplaire dans le monde de cette composition. Première dans I’histoire du disque, I’opération est rondement menée en compagnie de R.T.L. Tout le beau monde se retrouve le 6 juillet à Paris, pour la vente aux encheres du seul exemplaire du nouveau disque de Jarre. Dans le cadre de l’hôtel Drouot, on assiste à la manifestation la plus parisienne qui soit. Début spectaculaire : destruction par le feu de la matrice devant huissier. Puis c’est le moment tant attendu où le disque est "adjugé vendu" pour la coquette somme de 69.000 Francs.
L'acquéreur veut garder l'anonymat. On le comprend aisément : en ces temps de crise, une telle opération a de quoi soulever la hargne des plus nécessiteux. La soirée se termine en beauté. Jean-Michel Jarre est heureux. Son dernier disque, aussi insipide soit-il, ne sera pas passé inaperçu. Surtout qu’au même moment, sur R.T.L., les auditeurs se pressaient de pirater l’unique diffusion de la galette d’or. On sait aussi faire dans le social, en France… !
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30 janvier 2014
Jean-Michel Jarre chez les Mayas? (Le Parisien, 12/04/1991)
Ce sera l’éclipse du siècle : pendant près de sept minutes, la lune masquera totalement le Soleil, le 11 juillet 1991, et ce phénomène extrêmement rare ne se reproduira pas avant 2136. Comme Tintin dans « le Temple du Soleil ». Jean-Michel Jarre va profiter de l’événement à l’occasion d’un megaconcert, comme il en a l’habitude, iI va faire revivre avec des lasers et des images vidéo géantes les grandes pyramides – et les temples précolombiens de l’ancien empire des Mayas, construits, près de Mexico, il y a plus de deux mille ans. Un cadre fabuleux : le site préhispanique de Teotihuacan !
« J’ai tout de suite pensé que cette éclipse était une opportunité exceptionnelle pour faire passer un message culturel et spirituel. Je crois que l’avenir de nos sociétés est dans le métissage et la fusion des cultures », explique Jarre. Il mixera le son des instruments de cette époque à ses légendaires synthétiseurs. Ceux qui l’an dernier, ont assisté à son 14 Juillet à La Défense peuvent tout à fait imaginer ce que sera ce nouvel événement pour lequel il inaugurera une harpe laser dont les cordes seront remplacées par des rayons lumineux… Plusieurs centaines de milliers de personnes sont attendues sur le cite de Teotihuacan où travailleront quelque huit cents musiciens, techniciens et collaborateurs français. Le Concert pour l’éclipse sera retransmis en direct dans le monde entier, par la télévision. Les différentes chaînes françaises surenchérissent actuellement pour acheter les images.
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29 janvier 2014
Yesterday (Rock & Folk, 01/02/1987)
:: Fils à Papa? ::
Jean-Michel Jarre est né le 24 août 1948 à Lyon, dans une famille où il est tout naturel d’avoir la musique dans le sang. Son père est en effet le compositeur Maurice Jarre, qui deviendra célèbre pour d’innombrables musiques de films, de Franju aux superproductions de David Lean («La Chanson de Lara» du «Docteur Jivago», c’est lui), en passant par «L’Etau» de Hitchcock ou «Les Damnés» de Visconti. L'influence paternelle ne doit cependant pas être surestimée, car Jean-Michel Jarre sera séparé de son papa des l’âge de guatre ans. Néanmoins, il ne tarde pas à apprendre le piano, et sa formation musicale se poursuit au lycée et au conservatoire où il fait de solides études (harmonie, contrepoint et fugue). Pas question pour lui de ne jurer que par Bach, Mozart ou Beethoven: la plupart des jeunes, dans les années 60, écoutent du rock, et il ne fait pas exception à la règIe. On peut ainsi le voir tâter de la guitare ou de l’orgue dans de petits groupes sans lendemain comme Mystère IV ou les Dustbins qui ne vivront que le temps de quelques concerts dans les boites de la Côte d’Azur, pendant les grandes vacances.
:: Touche-à-tout ::
Nanti d’une licence de lettres, Jean-Michel tourne le dos à l’académisme de la musique classique et entre en 1968 dans le Groupe de Recherches Musicales qu’anime pierre Schaeffer. Il découvre ainsi une autre conception de la musique, tournée avant tout vers le son, et s’intéresse à la musique concrète (collages magnétiques) et plus particulièrement à la musique électronique : il utilise les premiers synthétiseurs expérimentaux. Son premier disque, La Cage, sort en 69, sans aucun succès. En 1971, il crée une sorte de scandale en faisant entrer la musique électroacoustique à l’opéra avec la musique de scène du ballet «AOR». Comme l’élitisme du GRM lui pèse, Jarre va s’essayer à communiquer avec un public plus large à travers différents moyens : jingles, musiques de films (Les Granges brûlées avec Alain Delon et Simone Signoret), génériques de télévision, sans renoncer pour autant à des oeuvres plus difficiles, comme en témoigne l’album confidentiel Deserted Palace. Par ailleurs, Jean-Michel profite de sa facilité de plume pour écrire des textes de chansons, mettant ainsi un pied dans le show-biz traditionnel. Patrick Juvet, en pleine période «décadente» (paillettes et bisexualité), et Christophe («Les Paradis Perdus»), entre autres, ont recours à ses services.
:: Oxygène détonant ::
Cette activité de parolier ne signifie pas que Jarre se désintéresse de la musique instrumentale. Au contraire. Le développement des synthétiseurs, qu’il s’est mis à collectionner, fait germer dans son cerveau le concept d’une musique électronique de portée universelle. Ni froide comme celle des « planants » allemands évoquant le vide des espaces intersidéraux, style Tangerine Dream ou Klaus Schulze, ni calquée sur le classique, façon Walter Carlos («Orange Mécanique») ou Tomita. Le pari semble risqué pour la plupart des majors, qui se gardent bien de tenter l’aventure. L’indépendant Francis Dreyfus* (disques Motors) est pratiquement le seul à croire en l’idée de Jean-Michel, et il ne le regrettera pas. A la surprise générale, le public s’enflamme pour la musique synthétique de Jarre, dès la sortie de l’album Oxygène, en 76. En France d’abord, ce qui lui vaut l’incompréhension de la critique, pour qui le succès a toujours quelque chose de suspect. Puis dans le monde entier, y compris dans les pays anglo-saxons, peu sensibles d’habitude aux productions françaises, à partir de 77. L’album figure dans les charts américains (N° 78) et les charts britanniques (N° 2), la perfide Albion réservant même un triomphe en simple à la quatrième partie de l’album (les morceaux n’ont pas de titres).
:: Concorde ::
Coup de chance ou révélation d’un authentique talent novateur ? Equinoxe, longuement peaufiné, parait à la fin de 78 et lève les derniers doutes. L‘album est aussi bien accueilli qu’« Oxygène ». Avec Jarre, la musique synthétique quitte définitivement les cercles restreints des babas fumeurs de pétards ou des cadres fumeurs n’achetant des disques que pour tester leur chaîne à dix bâtons, pour se glisser au creux de toutes les oreilles. A tel point que Jean-Michel est élu parmi les cinq hommes de l’année du magazine «People», l’équivalent américain de «Paris-Match», sans pour autant se laisser aller à jouer sur son physique avantageux de séducteur latin. Jarre forme d’ailleurs un couple idéal avec sa (seconde) femme, l’actrice Charlotte Rampling. Passionné d’images (il cite plus volontiers des cinéastes que des musiciens parmi ses influences), Jarre renoue avec la musique de film en composant la B.O. de «La Maladie de Hambourg» de Peter Fleischmann. Et il va monter un extraordinaire spectacle audio-visuel pour son premier concert, conçu comme un événement et une fête: un million de Parisiens répondent à son invitation, le 14 juillet 79, place de la Concorde. Ce show démesuré et retransmis en direct à la télévision lui vaudra d’entrer dans le « Livre Guinness des Records ».
:: Nuits de Chine ::
Fort de cette expérience, Jarre va ensuite créer un événement encore plus médiatique, après avoir sorti Les Chants Magnétiques («Magnetic Fields» en anglais, jeu de mots en moins), début 81. En octobre de cette même année, il devient le premier musicien occidental contemporain de renom à franchir le rideau de bambou en emportant dans ses valises plus de vingt tonnes de matériel : une véritable aventure. 150000 Chinois assistent à ses shows à Pékin et Shanghai. Ces concerts sont retransmis par la télévision et la radio, touchant près de 30 millions de téléspectateurs et 500 millions d’auditeurs dans le monde entier. Jean-Michel a composé vingt minutes de musique pour un orchestre traditionnel chinois de trente-quatre musiciens, célébrant ainsi la rencontre de l’Orient et de l’Occident, du vénérable et du moderne. Un double album, "Les Concerts en Chine", et une vidéo réalisée par la chaîne anglaise A TV sortiront en 82. Loin de ne viser que le gigantisme, Jarre sortira son album suivant, «Musique pour Supermarché (clin d’oeil humoristique à ses détracteurs), à… un seul exemplaire, vendu aux enchères à l’Hotel Drouot au profit de jeunes plasticiens en juillet 83. Et plus sérieusement, «Zoolook» (fin 84) viendra couronner dix-huit mois de voyages et d’enregistrements à travers les musiques et les cultures.
:: Lyon, Texas ::
Visant toujours plus haut, littéralement, Jarre compose le premier thème destine à être joue dans l’espace, au saxophone, par l’astronaute Ron McNair. La tragédie de l’explosion de la navette Challenger en décidera autrement. Du coup, le concert de Jean-Michel prévu de longue date à Houston, au Texas, le 5 avril 86, ne commémore pas seulement le 150ème anniversaire du grand état sudiste. Il est aussi dédié à la mémoire des astronautes disparus et mêle les nombreuses prouesses technologiques, telles la harpe laser de Bernard Szajner ou les projections sur un Kilomètre de front de gratte-ciel, à l’émotion la plus simplement humaine. Le million et demi d’américains venu découvrir le phénomène en reste ébahi, et le lancement mondial – on n’ose dire mise sur orbite, au vu des circonstances – de l’album « Rendez-vous » est assuré. Pour le dernier concert en date de Jarre, début octobre, à Lyon, c’est le Pape lui-même qui s’avoue fasciné par le spectacle: intégrant la situation géographique particulière de la ville, entre collines et rivières, l’artiste en fait l’un des acteurs du show. Que pourra encore trouver ce musiciens hors-normes pour nous surprendre ? La réponse appartient à l’avenir, qu’il sait si bien préfigurer Oxygène, marque une borne dans l’histoire de la musique (on ne parlera pas de rock) synthétique, par sa richesse de textures ne se référant à aucun son connu, alternant harmonieusement passages «climatiques» et pièces aux mélodies aguichantes, comme la fameuse «Part 4», Une démarche approfondie dans «Equinoxe», qui varie les ambiances autour d’un thème central, «Les Chants Magnétiques» est si l’on veut plus terre-à-terre, en intégrant – et distanciant, à la façon hyper-réaliste – des éléments plus reconnaissables qu’à l’accoutumée, jusqu’au clin d’oeil «La Dernière Rumba»). Les Concerts en Chine bénéficie de la chaleur de la scène et de l'«inspiration du voyage, loin de simples clichés touristiques, Et «Rendez-Vous» illustre tous les aspects de l’art de Jarre, de la mélodie facile aux morceaux en apesanteur, avec un lyrisme nouveau.
:: Le meilleur album ::
Zoolook, comme d’une autre façon "Les concerts en Chine", est un disque de rencontres. ce qui exclut le risque de la stérilité, Rencontre avec d’autres musiciens novateurs. certes, comme Laurie Anderson, Adrian Belew (guitariste chez Zappa, Talking Heads et King Crimson) ou Marcus Miller (bassiste et arrangeur de Miles Davis), Mais aussi rencontre d’autres cultures, avec un très intéressant travail sur des voix s’exprimant dans les langues les plus diverses et sculptées par I’electronique, Par ailleurs, l’un des disques les plus énergiques de Jarre, à travers des rythmes humanises et marques. Le plus rock, si I’on veut.
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28 janvier 2014
Jean-Michel Jarre en images (La Nouvelle République, 03/07/1987)
Pour ceux qui n’ont pu le voir à , Houston, Pékin ou Lyon, les éditions Olivier Orban publlent un livre abondamment illlustré sur Jean-Michel Jarre, un des musiciens français qui s’exporte le mieux puisqu’on estime que ses disques se sont vendus à 30 millions d’exemplaires dans le monde. L'ouvrage est signé par Jean-Louis Remilleux, journaliste au Figaro-Magazine et surtout lyonnais comme Jean-Michel Jarre qu’il a suivi dans les coulisses et sur les différentes scènes du monde.
Ce livre, qui se feuillette comme un album-souvenir, est riche d’une abondante iconographie signée par des photographes aussi renommés que Arnaud de Wildenberg ou Piotr Lanski, avec des clichés de Charlotte Rampling, épouse de ce « coureur de sons ».
Lorsqu’on s’exprime avec des sons impalpables, des notes invisibles, écrit Jean-Michel Jarre, le livre est une manière de fixer l’éphemère". Ce que s’efforce de faire Jean-Louis Remilleux à travers ces instantanés qui mènent le lecteur du "Stade des ouvriers" à Pékin, à la place Bellecour à Lyon lors du dernier voyage en France du pape, le tout très blen servi par Vincent Lery, responsable de la conception graphique de cet objet de luxe. Préfacé par I’auteur de "2001, I’odyssée de l’espace", Arthur C. Clarke – un de ses admirateurs – le livre ouvre une, porte sur l’univers magnétique du compositeur , un monde où technologie et tradition font bon ménage à l’image de cet ancien élève de Karl-Heinz Stockhausen [Note du bloggueur: Il y a confusion avec Pierre Schaeffer] qui, au fond du coeur, est toujours, resté fidèle aux berges du Rhône où il a usé ses culottes, courtes.
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27 janvier 2014
Jean Michel Jarre: Oxygène 7-13 (Big Bang n°20, Mai 1997)
Il y a encore quelques semaines, l'idée même d'un article sur Jean-Michel Jarre dans les pages de Big Bang aurait paru des plus saugrenues. Devenu au fil des années le concepteur de spectacles mégalomanes et l'auteur d'albums de plus en plus inconsistants et tape-à-l'œil, le presque quinquagénaire encore fringant semblait avoir fini, fort de ses 50 millions d'albums vendus de par le monde, par se contenter de son statut de pop-star et gendre idéal, au détriment de toute remise en cause musicale.
Voici pourtant qu'en ce début d'année 1997, Jean-Michel Jarre nous prend totalement au dépourvu, en donnant une suite, vingt ans plus tard, à son premier album, Oxygène, qui plus est dans une veine musicale strictement identique, et à l'aide des instruments d'origine, c'est-à-dire la lutherie synthétique analogique qu'il avait remisée au placard depuis une bonne dizaine d'années.
Pour comprendre l'importance de cette nouvelle œuvre, et sa place dans une revue consacrée aux musiques progressives, il convient de revenir sur le parcours de notre homme, et surtout de réévaluer ses trois premiers albums - Oxygène (1976), Equinoxe (1978) et Les Chants Magnétiques (1981) -, par rapport auxquels Oxygène 7-13 revendique clairement une continuité de style.
En fait, en dépit de leur réussite et de leur ancrage dans l'essor des musiques électroniques de l'époque, ces albums furent alors boycottés par la presse rock, qui ne se gênait pas par ailleurs pour ridiculiser à l'occasion leur compositeur. Il faut savoir qu'à l'époque, une promotion très commerciale («Oxygène 4» avait été écrit à l'origine pour la publicité de l'autoroute de l'Est !), c'était forcément louche vu du côté rock, celui-ci devant, au moins au niveau des apparences, se démarquer de la société de consommation et perpétuer l'image d'une force de subversion. Le véritable scandale provoqué quelques mois plus tôt par l'association de Pink Floyd à une campagne de la boisson gazeuse Gini était encore dans toutes les mémoires. Jarre fut donc logé d'emblée à la même enseigne que les Osmond Brothers ou les Rubettes.
Pourtant, il est clair avec le recul, amplifié par le passage à l'équipement numérique, que ces trois albums avaient un intérêt bien réel. Les passages les plus racoleurs (rythme enlevé, minimalisme mélodique et bonne humeur à toute épreuve) avaient certes un côté variété, type «Danse des Canards», assez insupportable. Mais, soyons honnêtes, ces séquences excessives étaient très minoritaires. La musique développée sur les autres plages, sans relever d'une démarche aussi avant-gardiste que celle d'un Klaus Schulze, n'en témoignait pas moins d'une forte originalité, d'ailleurs consacrée dès 1976 par le fameux Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Les ambiances sonores développées avec habileté, présentaient une luminosité, un rayonnement peu communs, un confort auditif découlant en fait d'une atmosphère joyeuse, ou du moins très rassurante, ce qui tranchait considérablement avec les autres formations électroniques, souvent plus ténébreuses.
Le caractère fédérateur du style Jarre ne tarda pas à révéler son potentiel économique avec, le soir du 14 juillet 1979, un premier spectacle sons et lumière sur la Place de la Concorde, devant plus d'un million de parisiens et près de 100 millions de téléspectateurs à travers l'Europe. Deux ans et demi plus tard, ce seront les fameux concerts en Chine (les premiers de musique moderne occidentale dans ce pays). Par la suite, celui qui avait pourtant débuté en 1968 au sein du très hermétique Groupe de Recherche Musicale de Pierre Schaeffer, ne reculera devant aucune concession artistique pour faire tomber les dernières résistances à son succès commercial massif. Aux critiques rock l'ayant décidément pris en grippe, il dédiera ironiquement l'album Musique Pour Supermarché (1983), tiré à un seul exemplaire, vendu aux enchères, et dont les bandes seront par la suite détruites...
Zoolook (1984), par son côté expérimental (Jarre s'y montre pionnier dans l'utilisation du sampling) et les services de musiciens aussi estimés que Laurie Anderson ou Adrian Belew, devait pourtant permettre, l'année suivante, une chronique plutôt positive. Pourtant, en fait d'expérimentation, il s'agissait surtout d'une collection impressionnante de bruitages, dont l'intérêt (comme souvent en pareil cas), était proportionnel à la dose (réduite) de mélodie consacrée... Malgré de très bons passages, on est tenté d'y voir une manifestation précoce de la roublardise du personnage : l'expérience sera d'ailleurs renouvelée, sous une forme opposée, six ans plus tard avec les 46 minutes immobiles d'En Attendant Cousteau... Preuve que le risque commercial d'une telle démarche était de toute façon très calculé, une Victoire de la Musique consacra un Jean-Michel Jarre plus que jamais dans l'air du temps...
L'album suivant, Rendez-Vous (1986), sera d'ailleurs le plus racoleur de tous, et permettra d'inaugurer la série de gigantesques concerts qui émailleront les années suivantes (et dont presque chaque fera l'objet d'un album live) : Houston (1986), Lyon (1986), Londres (1988), Paris/La Défense (1990), Hong Kong (1994) et de nouveau Paris, sur le Champ de Mars cette fois (1995). L'échelle mégalomane desdits événements trouvait son pendant musical dans un pompiérisme particulièrement outrancier. Quant à sa dévotion désormais inconditionnelle aux nouvelles technologies, elle est célébrée par Révolution (1988), qui traduit un durcissement radical des sonorités utilisées. En Attendant Cousteau (1990), trop vide, et Chronologie (1993), trop fade, ne permettront hélas pas d'assouplir la tendance au point que Jarre puisse un tant soit peu y renouer avec ses plus grandes qualités.
Par contre, Oxygène 7-13, imprévisible volte-face, nous restitue Jean-Michel Jarre tel qu'en 1976 : ni plus, ni moins. Il nous appartient maintenant de ne pas reconduire les erreurs d'appréciation passées. En renouant avec les synthés analogiques (ils sont tous là : Moog, ARP 2500 et 2600, EMS, VCS 3, Eminent 310...), Jarre gagne une authenticité et une crédibilité qui lui ont trop longtemps fait défaut. Il serait donc dommage de bouder le plaisir que ce nouvel album procure, ne serait-ce que par la seule force des sons : sans vouloir nous faire les chantres d'un combat d'arrière-garde, il y a longtemps que nous condamnons l'abandon brutal et total de l'analogique. L'intéressé déclarait d'ailleurs récemment : «Les nouvelles machines ont des possibilités extraordinaires, mais ce qui importe le plus, c'est ce qui est joué... A quoi bon pouvoir stocker des millions de sons si on ne les utilise jamais ?». Et d'ajouter : «J'aime les vieux synthés car ils n'ont pas de mémoire... Il est impossible de jouer deux fois la même chose... Ça rend la musique beaucoup plus spontanée...».
S'il n'est pas exclu que la nouvelle génération de musiciens fasse évoluer dans le bon sens les instruments numériques (à l'instar des Anglais de Vietgrove), c'est-à-dire autant dans la restitution des vieux sons que dans la création de nouveaux, il est clair que les anciens, eux, n'y parviennent pas. Il nous est habituellement pénible d'en juger sur les baisses très nettes de qualité; il est d'autant plus réjouissant de le vérifier aussi en constatant une réussite pour une démarche inversée.
Souhaitons en tout cas qu'un tel revirement ne reste pas sans lendemain. Il peut sembler illusoire d'attendre de Jean-Michel Jarre qu'il confirme dans cette voie, mais il n'est pas interdit de penser que la leçon servira à d'autres…
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