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27 janvier 2014

Jean Michel Jarre: Oxygène 7-13 (Big Bang n°20, Mai 1997)

oxygène 7-13,coupure presse,1997


Il y a encore quelques semaines, l'idée même d'un article sur Jean-Michel Jarre dans les pages de Big Bang aurait paru des plus saugrenues. Devenu au fil des années le concepteur de spectacles mégalomanes et l'auteur d'albums de plus en plus inconsistants et tape-à-l'œil, le presque quinquagénaire encore fringant semblait avoir fini, fort de ses 50 millions d'albums vendus de par le monde, par se contenter de son statut de pop-star et gendre idéal, au détriment de toute remise en cause musicale.

Voici pourtant qu'en ce début d'année 1997, Jean-Michel Jarre nous prend totalement au dépourvu, en donnant une suite, vingt ans plus tard, à son premier album, Oxygène, qui plus est dans une veine musicale strictement identique, et à l'aide des instruments d'origine, c'est-à-dire la lutherie synthétique analogique qu'il avait remisée au placard depuis une bonne dizaine d'années.

Pour comprendre l'importance de cette nouvelle œuvre, et sa place dans une revue consacrée aux musiques progressives, il convient de revenir sur le parcours de notre homme, et surtout de réévaluer ses trois premiers albums - Oxygène (1976), Equinoxe (1978) et Les Chants Magnétiques (1981) -, par rapport auxquels Oxygène 7-13 revendique clairement une continuité de style.

En fait, en dépit de leur réussite et de leur ancrage dans l'essor des musiques électroniques de l'époque, ces albums furent alors boycottés par la presse rock, qui ne se gênait pas par ailleurs pour ridiculiser à l'occasion leur compositeur. Il faut savoir qu'à l'époque, une promotion très commerciale («Oxygène 4» avait été écrit à l'origine pour la publicité de l'autoroute de l'Est !), c'était forcément louche vu du côté rock, celui-ci devant, au moins au niveau des apparences, se démarquer de la société de consommation et perpétuer l'image d'une force de subversion. Le véritable scandale provoqué quelques mois plus tôt par l'association de Pink Floyd à une campagne de la boisson gazeuse Gini était encore dans toutes les mémoires. Jarre fut donc logé d'emblée à la même enseigne que les Osmond Brothers ou les Rubettes.

Pourtant, il est clair avec le recul, amplifié par le passage à l'équipement numérique, que ces trois albums avaient un intérêt bien réel. Les passages les plus racoleurs (rythme enlevé, minimalisme mélodique et bonne humeur à toute épreuve) avaient certes un côté variété, type «Danse des Canards», assez insupportable. Mais, soyons honnêtes, ces séquences excessives étaient très minoritaires. La musique développée sur les autres plages, sans relever d'une démarche aussi avant-gardiste que celle d'un Klaus Schulze, n'en témoignait pas moins d'une forte originalité, d'ailleurs consacrée dès 1976 par le fameux Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Les ambiances sonores développées avec habileté, présentaient une luminosité, un rayonnement peu communs, un confort auditif découlant en fait d'une atmosphère joyeuse, ou du moins très rassurante, ce qui tranchait considérablement avec les autres formations électroniques, souvent plus ténébreuses.

Le caractère fédérateur du style Jarre ne tarda pas à révéler son potentiel économique avec, le soir du 14 juillet 1979, un premier spectacle sons et lumière sur la Place de la Concorde, devant plus d'un million de parisiens et près de 100 millions de téléspectateurs à travers l'Europe. Deux ans et demi plus tard, ce seront les fameux concerts en Chine (les premiers de musique moderne occidentale dans ce pays). Par la suite, celui qui avait pourtant débuté en 1968 au sein du très hermétique Groupe de Recherche Musicale de Pierre Schaeffer, ne reculera devant aucune concession artistique pour faire tomber les dernières résistances à son succès commercial massif. Aux critiques rock l'ayant décidément pris en grippe, il dédiera ironiquement l'album Musique Pour Supermarché (1983), tiré à un seul exemplaire, vendu aux enchères, et dont les bandes seront par la suite détruites...

Zoolook (1984), par son côté expérimental (Jarre s'y montre pionnier dans l'utilisation du sampling) et les services de musiciens aussi estimés que Laurie Anderson ou Adrian Belew, devait pourtant permettre, l'année suivante, une chronique plutôt positive. Pourtant, en fait d'expérimentation, il s'agissait surtout d'une collection impressionnante de bruitages, dont l'intérêt (comme souvent en pareil cas), était proportionnel à la dose (réduite) de mélodie consacrée... Malgré de très bons passages, on est tenté d'y voir une manifestation précoce de la roublardise du personnage : l'expérience sera d'ailleurs renouvelée, sous une forme opposée, six ans plus tard avec les 46 minutes immobiles d'En Attendant Cousteau... Preuve que le risque commercial d'une telle démarche était de toute façon très calculé, une Victoire de la Musique consacra un Jean-Michel Jarre plus que jamais dans l'air du temps...

L'album suivant, Rendez-Vous (1986), sera d'ailleurs le plus racoleur de tous, et permettra d'inaugurer la série de gigantesques concerts qui émailleront les années suivantes (et dont presque chaque fera l'objet d'un album live) : Houston (1986), Lyon (1986), Londres (1988), Paris/La Défense (1990), Hong Kong (1994) et de nouveau Paris, sur le Champ de Mars cette fois (1995). L'échelle mégalomane desdits événements trouvait son pendant musical dans un pompiérisme particulièrement outrancier. Quant à sa dévotion désormais inconditionnelle aux nouvelles technologies, elle est célébrée par Révolution (1988), qui traduit un durcissement radical des sonorités utilisées. En Attendant Cousteau (1990), trop vide, et Chronologie (1993), trop fade, ne permettront hélas pas d'assouplir la tendance au point que Jarre puisse un tant soit peu y renouer avec ses plus grandes qualités.

Par contre, Oxygène 7-13, imprévisible volte-face, nous restitue Jean-Michel Jarre tel qu'en 1976 : ni plus, ni moins. Il nous appartient maintenant de ne pas reconduire les erreurs d'appréciation passées. En renouant avec les synthés analogiques (ils sont tous là : Moog, ARP 2500 et 2600, EMS, VCS 3, Eminent 310...), Jarre gagne une authenticité et une crédibilité qui lui ont trop longtemps fait défaut. Il serait donc dommage de bouder le plaisir que ce nouvel album procure, ne serait-ce que par la seule force des sons : sans vouloir nous faire les chantres d'un combat d'arrière-garde, il y a longtemps que nous condamnons l'abandon brutal et total de l'analogique. L'intéressé déclarait d'ailleurs récemment : «Les nouvelles machines ont des possibilités extraordinaires, mais ce qui importe le plus, c'est ce qui est joué... A quoi bon pouvoir stocker des millions de sons si on ne les utilise jamais ?». Et d'ajouter : «J'aime les vieux synthés car ils n'ont pas de mémoire... Il est impossible de jouer deux fois la même chose... Ça rend la musique beaucoup plus spontanée...».

S'il n'est pas exclu que la nouvelle génération de musiciens fasse évoluer dans le bon sens les instruments numériques (à l'instar des Anglais de Vietgrove), c'est-à-dire autant dans la restitution des vieux sons que dans la création de nouveaux, il est clair que les anciens, eux, n'y parviennent pas. Il nous est habituellement pénible d'en juger sur les baisses très nettes de qualité; il est d'autant plus réjouissant de le vérifier aussi en constatant une réussite pour une démarche inversée.

Souhaitons en tout cas qu'un tel revirement ne reste pas sans lendemain. Il peut sembler illusoire d'attendre de Jean-Michel Jarre qu'il confirme dans cette voie, mais il n'est pas interdit de penser que la leçon servira à d'autres…

00:00 Publié dans Interviews / Presse | | Tags : coupure presse, 1997, oxygène 7-13 |  Facebook | | |