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07 février 2014

Docklands de Londres, 1988 (Claviers magazine, 1/1/1990)

SAMEDI 8 ET DIMANCHE 9 OCTOBRE 1988 : LONDRES, DOCKLANDS Dans la banlieue de Londres, un espace anachronique, vestige de toutes les révolutions industrielles, no man’s land promis à un réaménagement de fond en comble. Architecture de quais et de silos, d’entrepôts et de grues mortes : Docklands est un paysage de briques, de béton, d’eau et de métal. C’était un pari fou que de traverser le Channel, de braver les éléments naturels et les difficultés administratives, d’affronter les hésitations et les revirements des autorités, qui conduisent à une première annulation du projet. Seul un visionnaire pouvait envisager de transformer cette aire gigantesque et sinistre en un décor relevant d’une archéologie du futur , sorti tout droit de l’univers suintant, rouillé et brumeux de « Blade Runner ».

Pour l’architecture de scène, les entreprises britanniques déclarent forfait, ce sont des Français qui viennent construire l’échafaudage flottant sur douze barges assemblées, dispositif complexe à plusieurs niveaux, sur lequel prendront place deux cents personnes, musiciens, choeurs et techniciens. Vent et pluie, le public qui fait la queue depuis le matin commence à entrer vers 15 h. II y a trente mille places assises, soixante-dix mille debout. Pour tous, le froid, le vent, la boue. Les régies techniques abritent un imposant dispositif, huit Studer 24-pistes, une console SSL. Les enceintes de sonorisation Meyer Sound sont montées sur des grues, tous les cent vingt mètres. Luttant contre le vent, les artificiers de l’équipe de Daniel Azancot remettent en place des fusées qui piquent du nez. 20 h. Fin du compte a rebours. Ovation gigantesque. La trame du concert est constituée par l’album «Révolutions» : sur fond de cadences infernales, de hauts fourneaux rougeoyants et de bielles métalliques, les robots dansent avec les enfants. Musique tranchante comme l’acier, traversée par les souffles de la bête humaine… Jean-Michel Jarre fait la révolution sur les docks: les derviches tournent autour des enclumes synthétiques, les lampions remplacent les néons, l’appel du muezzin étouffe les sirènes, les kids de London rencontrent les gosses de Tokyo et dansent avec la guitare de Hank Marvin, tandis que les jeunes filles de Mali font la ronde autour des computers.

Haute tension et rumeur de la foule, bourrasques force 8, les docks tanguent. Dynamique irrésistible de la musique qui traverse le temps qu’il fait, enchaînement implacable des rythmes et des sons, des atmosphères et des mélodies. La folie des éléments féconde la féerie des sons et des lumières. Les grandes eaux d’un Versailles imaginaire sous le déluge volcanique d’une scène flottante, réplique métallique de l’ Ile mystérieuse de Jules Verne. Les synthés disjonctent, les doigts glissent sur les claviers, des projecteurs de cent kilos se décrochent et tombent sur les instruments, un musicien dérape et s’étend de tout son long sur scène, l’oeil des caméras s’embue de compassion tandis que Ladi Di essuie une larme d’émotion… Jarre brandit le clavier insecte dont les antennes lui permettent de passer les vitesses : le time code clignote, le MIDI palpite. Workstation surréaliste, coeur nerveux du vaisseau spatial et amphibie, le « buffet-cuisine » de Jean-Michel : moniteurs vidéo et écrans d’ordinateurs, un réveil-matin et une machine à écrire Underwood, un Fairlight et deux EMS, claviers divers et racks d’expandeurs, pâte à papier, tuyaux rouillés, altuglass et carcasses métalliques. Entre le laboratoire high tech et la brocante des Puces, les instruments conçus par LAG expérimentent de nouvelles formes de visualisation de la musique électronique, inventent une gestualité, une ergonomie, un confort de jeu spécifiques à la lutherie électronique. Aboutissement d’un concept, tour de force technique et humain, synergie des volontés, Docklands, par sa démesure comme par l’enfer technique qu’il représente, reste une expérience ultime, dure, traumatisante.

06 février 2014

Concert de Lyon, 1986 (Claviers magazine, 1/1/1990)

DIMANCHE 5 OCTOBRE 1986 : LYON Trois mille cinq cents projecteurs, douze projecteurs d’images géantes (6 000 W de puissance), vingt-deux projecteurs de poursuite, huit skytrackers, six projecteurs DCA géants, trois rayons laser, quarante mille bombes et des poussières, cent talkies-walkies, deux cent cinquante mètres cubes de sono (quarante tonnes). Lorsque le concert commence, on oublie la fiche technique. Fourvière se prend pour Cinecitta, et le pape écoute un instant, rêveur, les voix de «Zoolook». Les lumières créent une architecture immatérielle, soulignent des embrasures de fenêtres, les balcons, la pente d’un toit, rétagement des maisons, les pavés d’une ruelle. Peintures éphémères et poétiques qui alternent avec les projections d’images, véritables flashes de la mémoire collective. Pour le public, le spectacle s’étend sur plus de deux kilomètres de longueur et six cents mètres de hauteur. La scène proprement dite, inondée de lumières et fumigènes, est le centre d’un ballet de faisceaux qui partent trouer le ciel.
Deux chorales et les musiciens de l’Opéra de Lyon entourent les synthésistes, le percussionniste et Jean-Michel Jarre, place devant un imposant clavier semi-circulaire qui lui permet de commander certains effets de lumière et de pyrotechnie. Comme à Houston, tous les musiciens sont guides par des ordinateurs IBM XT, véritable régie informatique qui fait défiler le compte à rebours du concert et déclenche le moment précis des interventions de chacun, parfaitement synchronisées avec les effets de lumières. Ovation de la foule, éruption volcanique de la colline qui ruisselle de fumigènes, rythme infernal des artifices, dont les détonations couvrent parfois la sono et font vibrer les vitres et les murs. Lyon devient Verdun-sur-Saône le temps d’une soirée et le car de Channel 80, a la fin du concert, est secoue par le bouquet final… De «Zoolook» à «Rendez-Vous», des «Chants magnétiques» à «Equinoxe», la musique se fond en une osmose parfaite avec le spectacle visuel. On oublie les aléas du concert, le son qui rebondit parfois sur les quais, le niveau affaibli par la déconnection accidentelle d’une partie de la sono…

C’est la fête totale, sans lendemain, la fièvre d’un dimanche soir qui transfigure le quotidien, le bonheur d’un élan collectif où l’on acclame d’une seule voix le pape et le magicien. Le concert de Lyon, comme la Chine et Houston, est un mélange de professionnalisme extrême et d’improvisation débrouillarde. Le bricoleur rencontre l’ingénieur, les services techniques de la municipalité déploient les grands moyens, tandis que la force économique d’une région entière se mobilise pour sponsoriser un concert gratuit, défiant les critères habituels de la rentabilité et du show-business. Un « civic event » à la française…

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05 février 2014

Concert de Houston, 1986 (Claviers magazine, 1/1/1990)

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SAMEDI 5 AVRIL 1986 : HOUSTON, TEXAS Dans la journée, rien de spécial, la grande ville vaque à ses occupations, respectant les interdictions de circuler qui font du centre un no man’s land où s’agitent deux cent cinquante Français, empêtrés dans les câbles audio et MIDI, les galères techniques de dernière minute, les écrans géants à protéger du vent, les dernières fusées d’artifice à monter en haut des buildings. Chacun à son poste, et les techniciens américains, un peu sceptiques au début, sont progressivement gagnés par cet esprit français où se mêlent le bricolage, l’audace, l’enthousiasme et une certaine forme d’inconscience… Vers 19 h, alors que les musiciens s’habillent dans leur Q.G., Jean-Michel regarde par la fenêtre et lance à Dominique Perrier. « Tiens, tu as amené de la famille ? » La foule arrive, par vagues, sous la lumière du soleil couchant de cette journée de printemps, et avance vers les gratte-ciel, comme pour quelque cérémonie primitive… Rendez-vous à Houston: une ville en concert. Un concert pense et écrit comme un film, une succession de plans visuels plus que de morceaux musicaux. Un montage de tableaux, un crescendo d’émotions, un voyage dans la mémoire américaine, du crash de Challenger au sourire de Kennedy, du mythe de l’Ouest à la Statue de la Liberté. Une synchronisation rigoureuse enchaîne le son, les feux d’artifice, le ballet des projecteurs de DCA et les images géantes sur écrans de deux cents mètres de haut. L'ère du MIDI coexiste avec les vestiges de l’analogique, les time codes jouent au Ping-Pong avec les horloges des VCS et autres ARP. Gigantisme à l’américaine dans une production que seuls des Français pouvaient réussir. Comme la Concorde, Houston échappe au modèle du concert classique : la scène et les musiciens ne sont pas nécessairement le point de mire des regards, le spectacle est dans la ville, dans le ciel, dans la foule, il est éclate en une multitude de points de vue, éloignés ou rapproches, du pied des tours de verre à l’autoroute périphérique, qui connaît d’ailleurs pour l’occasion son plus bel embouteillage depuis des lustres.

A Houston, Jean-Michel métamorphose un centre ville, des buildings qui sont l’emblème d’une certaine modernité américaine. De ce paysage de bureaux, de banques et de centres d’affaires, il fait, le temps d’une soirée, un écran onirique et merveilleux, un univers de volumes, de couleurs et de lignes de lumières, de reflets et d’images. La musique a changé. Elle a été conçue pour ces grands espaces ouverts, pour respirer et planer au-dessus de la foule : amples mouvements symphoniques, refrains populaires et immédiats, association du son et de l’image, avec l’utilisation spectaculaire de la harpe laser, mélange des sons synthétiques et des voix humaines, des séquences mécanisées et d’un saxophone émouvant, mise en scène baroque et déploiement hypertechnologique. Même les partitions défilent sur les ordinateurs, grâce à Jean Poncet. Michel Geiss, Francis Rimbert, Christine et Sylvain Durand, Dominique Perrier, Pascal Lebourg et Kirk Whalum entourent Jean-Michel, grand prêtre d’une grand-messe technologique où tout peut arriver. Surtout l’imprévu, comme ce fragment de cartouche de feu d’artifice qui atterrit en pique sur un clavier, entre deux touches, et provoque un son continu qui passe dans la sono et les casques de retour…

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04 février 2014

Premiers concerts en chine, 1981 (Claviers magazine spécial Jarre, 1/1/1990)

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OCTOBRE 1981 : REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE Deux ans d’efforts, de négociations et de préparation se concrétisent lorsque Jean-Michel Jarre, son équipe et quinze tonnes de matériel se posent sur la piste de l’aéroport de Pékin. Plus que des concerts, une aventure; plus qu’une tournée, un concept, pensé dans ses moindres détails techniques comme dans ses implications sociopolitiques. Rencontre de l’Occident et de l’Extrême-orient, des années laser et du XIXe siècle, des computers et de la bicyclette. Vingt mille personnes sur les gradins du Palais des Sports de Pékin. Les blocs noirs de la sono dominent les flight-cases rouges des synthés et se mêlent aux poutrelles métalliques qui soutiennent les éclairages. Le set up scénique a été pensé par Mark Fisher , qui a aussi mis en scène le megashow du Pink Floyd, « The Wall ». C’est l’un des concerts les plus ambitieux de l’époque, par l’ampleur de l’infrastructure technique, la complexité des écritures laser programmées par la société MDB, et surtout le pari technique de jouer live une musique écrite ne se prêtant guère aux improvisations modales et informelles de la scène électronique européenne. II s’agit d’interpréter «Oxygène», «Chants magnétiques» et «Equinoxe», d’adapter la création de studio aux contraintes scéniques d’un véritable groupe et d’une technologie nouvelle. Sur scène, Jean-Michel au Fairlight et aux VCS 3, à l’OBX 3, à l’Elka, à l’Eminent et à la harpe laser, mélange kitsch du matériel le plus récent avec des ancêtres d’un âge déjà respectable. Le mur d'expandeurs et de programmeurs RSF, spécialement construit pour ces concerts avec des composants militaires, l’ ARP 2600 et les drums machines, c’est le royaume de Frederic Rousseau, jeune démonstrateur de Music Land, qui pilote toutes les séquences avec le MDB Polysequenceur : le synthétiseur modulaire classique avec l’un des séquenceurs les plus performants de l’époque (interface cassette pour sauver les programmes !). Le gars qui saute en l’air avec une casquette sur le nez, c’est Dominique Perrier, qui s’éclate sur son Moog Libération pour des solos mémorables, mais va aussi parfois s’asseoir sagement derrière un Prophet 5, un Eminent ou un Korg Polyphonique, voire un monophonique Kobol, fabrique par la société française RSF…

Celui qui tape comme un malade sur sa batterie électronique Simmons, même quand elle est débranchée, c’est Roger Rizzitelli, plus connu sous le nom de Bunny, qui continue aujourd’hui encore à s’éclater, devant les clients de sa pizzeria, en jouant des drums sur la musique de Jean-Michel… II y a dans la musique de ces « Concerts en Chine » une dimension rock; une énergie tout à fait particulière. La batterie live fait swinguer les séquences au gros son analogique, les polyphonies décollent avec les effets sidéraux des vcs 3 et du Fairlight. Le coeur des synthés palpite d’émotion devant la foule sidérée, tandis que résonnent les sons d’un orchestre traditionnel chinois. La poésie contre la technique: quelques heures avant le concert et pour ne pas déranger quinze chaises, les Chinois demandent que l’on déplace de quarante mètres la régie technique, ses tables de mixage et ses cablages. Une heure de palabres pour dire non. Quelques heures avant le concert, il n’y a toujours pas d’électricité et le public qui entre interrompt la répétition qui venait de commencer. . . Les sautes de tension maintiennent un suspense intéressant pendant tout le show: les computers seraient-ils des grille-pain et vont-ils faire sauter les plombs ? Choc des cultures: après le premier morceau, les musiciens s’arrêtent. Silence dans la salle, panique sur scène: pas un applaudissement ! Ce n’était pas la galère du siècle, mais le syndrome de la musique classique, les seuls concerts connus du public chinois : on n’applaudit pas entre les mouvements d’une symphonie ! Choc des mentalités : alors que les caméras d’ Andrew Piddington s’apprêtent à balayer la salle archi-comble, les officiels exigent un cachet de figurant pour chaque spectateur chinois filmé. . . L ‘ équipe technique doit également négocier d’arrache-pied pour pouvoir fumer à l’intérieur du stade et boire autre chose que de l’eau chaude, comme les Chinois ! Shanghai : les concerts les plus fous dans la vaste nef circulaire. Les lasers de Claude Lifante se déchaînent et n’en finissent pas de calligraphier la voute du toit. La sono prend de la voix, les ingénieurs font rougir les vumètres… Les solos se durcissent, les drums explosent. Premier rappel. La salle hurle, piétille, bras en l’air. Deuxième rappel. Les murs tremblent. Troisième rappel : Chants magnétiques… Champ de mines, plutôt: l’émeute n’est pas loin…

03 février 2014

La Concorde, 1979 (Claviers magazine spécial Jarre, 1/1/1990)

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14 JUILLET 1979: PARIS Francis Dreyfus et Jean-Michel Jarre, à quatre pattes sur la scène, n’en croient pas leurs yeux. La place de la Concorde est noire de monde et la foule remonte lentement les Champs-Elysées, comme un encrier qui se répandrait vers l’Arc de triomphe. La scène est au pied de l’Obélisque et fait face à l’hôtel Crillon et au ministère de la Marine. Le podium (construit par les Pompes funèbres de Paris !) est recouvert de synthétiseurs, d’orgues électroniques, de claviers superposés, de tables de mixage et d’effets. Toute la technologie des années soixante-dix, des modulaires polyphoniques Korg et Oberheim à l’ARP 2600, en passant par les EMS, compagnons de toujours, les RMI computers et autres générateurs de rythmes, les Eminent et les phasing Small Stones aux piles artificiellement usées.

Jacques Rouveyrollis fait les ultimes réglages lumières. Azancot, en nage, charge ses dernières fusées et court avec les fils de déclenchement à la main. Les techniciens de Hold Up calent leurs images sur les projecteurs PANI et la sono qui longe le mur des Tuileries se gratte la gorge avant de donner toute sa puissance. Il est à peu près 22 h, le spectacle commence: l’intégrale d’« Equinoxe » et une bouffée d’«Oxygène» pour rafraîchir l’atmosphère. Un million de Parisiens vi vent le songe d’une nuit d’été. II n’y a pas encore de skytrackers, pas encore de lasers, mais le ballet des lumières de scène et les projections géantes déclenchent l’enthousiasme du public, baigne par les vagues de la marée synthétique. Les façades clignent de l’oeil, les grandes scènes de la Révolution s’affichent sur les murs (déjà !), avec des gags inattendus ( « Marat est assassiné dans sa baignoire par. . . Charlotte Rampling »). Les fontaines transpirent sous la lumiere, les lampadaires rougissent, les fleurs d’artifice s’ouvrent dans le ciel de Paris. Un million de spectateurs… Record absolu à l’epoque pour un concert en plein air… Dès la Concorde se trouvent réunis les ingrédients de la potion magique : le grand air et les grands espaces, le cadre monumental, la foule et l’atmosphère de fête populaire, avec la cohue bon enfant, l’attente, les merguez-frites et les télescopes en carton, le coude à coude et les cent pas. Très importante, dans la magie « jarrienne », cette communion collective de la foule qui vibre à l’unisson, des centaines de milliers de regards, de corps et d’oreilles qui partagent le meme émerveillement… On voit la musique et on entend la lumière, on déguste les images et on sirote le son, des rêves vous chatouillent les tripes, tandis que les échos et les reverbs spatialisent les couleurs.