16 août 2013
Interview de Michel Geiss (1990)
Michel Geiss a été le principal collaborateur artistique et technique de Jean Michel Jarre entre 1976 et 1994. ll répond à une interview du numéro spécial Jarre de Claviers mgazine de janvier 1990.
D'où sont venus les instruments que tu as fabriqué pour Jean Michel?
Michel Geiss : "Des idées sont nées de notre rencontre, comme celle du Matrisequencer 250, que j'ai réalisé plus tard en 1978, et que Jean Michel aime toujours utiliser dans ses compositions. Il y a eu aussi ma réalisation du Rythmi-computer, une boîte à rythmes complexe, programmée par microprocesseur, avec des sons électroniques que j'avais spécialement fabriqués. Tel a été le point de départ de notre longue association, qui m'a permis de collaborer aux projets de Jean Michel à différents niveaux, depuis Oxygène."
Peux-tu nous parler du Matrisequencer?
M.G. : "Il n'en existe qu'un seul. Ce n'est pas un simple bricolage, mais un instrument complet. Cet instrument est né d'une idée de Jean Michel, qui, au GRM, avait expérimenté le travail avec des matrices et des fiches. Il s'agit d'un appareil très particulier, puisqu'il permet de programmer des séquences en branchant des fiches sur une plaque percée de trous (une matrice). Cet instrument permet une approche très originale de la programmation, grâce à son aspect visuel."
Quelle est la nature de ton travail avec Jean Michel Jarre?
M.G. : "De tous ses collaborateurs, je crois être celui dont la vie a le plus changé : j'ai même changé de métier. Mon métier actuel, même s'il découle de ma formation antérieure, je l'ai réellement appris lors de mon travail avec Jean Michel. J'ai peu à peu pris mes distances avec l'électronique pure, après avoir vécu certaines aventures technologiques, comme la réalisation de la console de gravure automatique de Dyam Music, des automates complexes, une pendule musicale pour l'émir de l'état d'Oman (!) et des génériques pour la TV… Mais maintenant, je suis plus impliqué dans la réalisation des disques et des concerts de Jean Michel, où je suis musicien à part entière. Mon travail va de la programmation de sons sur les synthétiseurs à la prise de son en studio, de la postproduction vidéo sur les films des concerts à la surveillance de la qualité technique des retransmissions radio et télévision des concerts, de la qualité technique de fabrication des disques, cassettes, vidéos, des contacts avec les musiciens, de la recherche de nouvelles techniques pour le studio ou les concerts, au travail sur les mixages des albums de Jean Michel ou d'autres artistes. Je travaille actuellement sur le Technos, une machine à synthèse additive révolutionnaire en provenance du Canada : on imagine les possibilités de création de sons à partir de 512 oscillateurs intégrés dans la machine. On dessine les sons avec le doigt. J'ai la chance d'avoir une activité diversifiée, donc enrichissante. Je vois les multiples facettes d'un métier en constante évolution. Ce qui m'a le plus passionné avec Jean Michel a été ma collaboration pour la réalisation de ses albums."
Comment se passait le travail en studio à l'époque d'Equinoxe?
M.G. : "On cherchait des sons, les idées étaient enregistrées au fur et à mesure. Jean Michel avait déjà enregistré des bases de morceaux sur le multipiste, le reste faisait partie de la recherche commune. Nous avons travaillé à deux. Pour Equinoxe, je me souviens de certains moments de magie, où l'on découvrait des atmosphères nouvelles. Je retrouve ce sentiment en écoutant le disque. On avait même installé un baquet d'eau dans le studio, on faisait de grosses bulles avec un verre, pour les enregistrer. On entend "bloup, bloup" dans le disque. On avait carrément les mains dans l'eau! Tout cela est très artisanal."
As-tu participé au mixage des Chants Magnétiques?
M.G. : "J'avais pu entendre le disque terminé au studio de gravure de Dyam Music et j'ai trouvé que le mixage du premier morceau de la face A n'était pas réussi du tout. Jean Michel s'en est rendu compte aussi. Il a demandé à Jean-Pierre Janiaud s'il pouvait refaire cela immédiatement mais Jean-Pierre avait déjà passé plusieurs nuits blanches de suite avec Jean Michel. Il a baissé les bras et dit : "Non, je ne peux vraiment plus, je suis trop épuisé!". Jean Michel s'est alors tourné vers moi : "On dort deux heures et on s'y met." Je suis donc allé dormir chez moi. pendant ce temps, il avait fait réparer la console qui avait un problème d'automation! On s'est mis devant les faders vers deux heures du matin, pour terminer à huit, juste avant d'apporter le master au studio de gravure. C'est ce mixage qui est resté sur le disque."
Avant les derniers albums, l'équipe s'est élargie… Comment se passent les séances de studio?
M.G. : "C'est tout à fait flexible. On a l'idée directrice de Jean Michel et on développe avec les moyens du studio. Il laisse s'exprimer les musiciens : on peut suggérer des idées et avoir une part de créativité. C'est difficile lorsque d'autres musiciens sont impliqués, mais on a un concept directeur. On n'aurait pas pu construire des cathédrales si les ouvriers avaient conçu chacun leur plan…"
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15 août 2013
Interview de Francis Dreyfus (1990)
Francis Dreyfus a produit les albums de Jean Michel Jarre de 1972 à 2002. Interview réalisée pour le numéro spécial Jarre du magazine Claviers de Janvier 1990 sur sa collaboration avec l'artiste lyonnais.
En 1972, vous rencontrez un ancien musicien du GRM, racontez-nous…
Francis Dreyfus : "Quand j'ai proposé à Jarre de travailler avec Christophe que je venais de signer, on ne pouvait prévoir qu'il deviendrait le parolier le plus populaire de sa génération. Alors, on s'est dit : "Si des artistes te demandent d'écrire leurs paroles, on dira que tu fais maintenant de la production". On n'imaginait pas un tel succès. Quand d'autres artistes sont venus le chercher, on a encore joué cette carte : "Eh bien non, il fait son disque…" On a un peu aidé la chance en créant pour les médias la crédibilité évidente d'un artiste qui avait écrit et produit des tubes…"
Vous découvrez alors les bandes d'Oxygène…
F.D. : Quand j'ai entendu cet album pour la première fois, je suis tombé par terre : "Bon ben on a un succès mondial…" Alors il m'a dit : "Bon, ben d'accord…" Il était un peu sceptique. J'étais complètement retourné. On a eu l'idée de faire de chaque magasin hifi une FM, avec un nombre d'auditeurs limités. C'était un travail de barges. On leur a fait cadeau d'un disque. Ils ont écouté. Trois jours après, coups de téléphone : "Est-ce qu'on peut vendre les disques?" On a vendu par ce canal-là près de cinquante mille albums, c'était une révolution. Les radios ont demandé à Jean Michel de venir faire des interviews. Tout d'un coup, il y a eu un impact énorme…
Pour vous, quelle a été la spécificité de Jean Michel dans la vague de la musique électronique des années soixante-dix?
F.D. : Dans la musique électronique, il y a une apologie de la machine qui supplante le concept. Il y a eu le trip de la musique planante, avec des sons qui correspondent au cosmos, etc. Je préfère prendre Pink Floyd, la guitare de Gilmour fait autrement planer… La musique de Jarre correspondait à ce que les gens avaient en eux. J'ai eu l'impression de devenir créateur, simplement en écoutant cette musique…
Vous avez alors repensé le concept même de concert?
F.D. : On a développé la visualisation de cette musique. Je disais à Jean Michel : "Fais-moi entendre le reflet de la lune sur le lac." Cela le faisait rire… Il fallait éviter les concerts traditionnels. Avec le concert, on veut faire redécouvrir une ville à ses habitants. La hauteur, la matérialité des buildings vous échappent parce que vous vivez dedans… Mais si on balance des projections, des illuminations, on redécouvre son cadre de vie. Une de mes obsessions est de donner des pulsions aux gens.
Pourquoi des concerts gratuits?
F.D. : C'est fantastique de pouvoir présenter au public un tel spectacle gratuit. À partir du moment où il y a un certain espace, en fonction du lieu où vous vous trouvez, vous avez des angles de vue et des perceptions personnels. Dans ce genre de concerts, l'artiste est le chef d'orchestre. La star, c'est la place, le quartier, la ville. Mais il faut que la moelle épinière de tout cela soit une musique. La magie des concerts Jarre, c'est d'abord sa musique.
On est plus dans une forme de "fête totale" que dans un concert?
F.D. : On retrouve les grandes fêtes populaires de jadis. C'est l'événement unique. Il reste dans la mémoire collective, on peut le transformer, l'enjoliver. Il y a des gens qui m'ont raconté ce qu'était Houston! Aux Etats-Unis, on a eu des critiques où l'on disait : "C'est entre Walt Disney et Spielberg" et c'est un peu ça, un conte de fée, une technologie, mais surtout un feeling.
Des concerts comme Houston et Docklands comportent des risques énormes…
F.D. : Il y a des problèmes invraisemblables de dernière minute. Les pires viennent de la météo… les problèmes financiers ne sont pas très agréables, mais on peut les gérer. Pour les problèmes techniques, on travaille avec une bonne équipe et on peut adapter le concept. mais les intempéries peuvent tout faire foirer… Dans certe aventure, Jarre est courageux, car il se trouve comme l'équilibriste sur le filin, il joue sa réputation. Après on ne dira pas : "C'est parce qu'il y avait du vent, de la pluie, etc." On dira : "Jarre, il était nul, c'est lamentable…" Ce que j'admire en lui, c'est qu'il est un aventurier dans tous les sens du terme. Il a un côté latin et fou furieux…
Comment voyez-vous l'avenir?
F.D. : Sans le côté aventure et création, je pourrais arrêter demain. On est devenu une mini-multi, mais je suis totalement indépendant. Si on sort un disque, c'est qu'on a envie de le sortir… Le côté "parts de marché", "bilan prévisionnel" ne m'intéresse pas… En revanche, le succès m'intéresse, car il ne faut pas oublier que jusqu'à présent, on a toujours réinvesti nos bénéfices dans les concerts. Je pense que Jarre est un artiste extrêmement important, il va le rester des années. Il n'en est qu'au commencement…
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14 août 2013
Interview d'Hélène Dreyfus sur les débuts de Jean Michel Jarre (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Hèlène Dreyfus, étudiante au GRM en septembre 1968, et qui a accompagné les premiers pas de Jean Michel Jarre quand il s'est mis à vivre de sa musique.
Quel était son travail au GRM?
Hélène Dreyfus : Le musée de l’Homme nous avait confié un stock de bandes de musiques ethniques. En les recopiant, on les a écoutées. Jean Michel s’est passionné pour la voix plus que pour les instruments. On avait chacun notre stock de bandes, mais lui s’appropriait toujours les bandes de voix. On ne parlait pas en termes de notes, mais d’amas de sons, d’objets sonores. Il disséquait ces voix et a découvert une matière sonore nouvelle, bien avant qu’on ne parle de métissage, d’échantillonnage. Zoolook est la continuation de ce travail.
Il a découvert les premiers synthétiseurs au GRM?
H.D. : Il y avait un studio avec le grand Moog, réservé aux compositeurs établis : François Bayle, Guy Reibel, Parmegiani. Au bout de deux mois, Jean Michel travaillait déjà dans ce studio. Ce qu'il a sorti du Moog au bout de cinq minutes, c'était de la musique, alors que les autres faisaient beaucoup plus "cric, crac, boum!". Pour lui, c'était instinctif. Je pense que Parmegiani et Bayle l'ont laissé faire parce qu'ils l'ont quand même reconnu comme un vrai musicien. Jean Michel a pris des années d’avance sur les autres au GRM. Nous on était dans de petits studios avec deux ou trois magnétophones à quatre pistes, et on se débrouillait avec nos bandes et nos ciseaux : "Je te coupe un son, etc." On devait faire des compositions qui n’excède pas cinq à six minutes. La première fois que Jean-Michel a présenté une œuvre, c’était superbe. Pierre Schaeffer a dit : "Mais vous composez comme votre père!". Il s’amusait à prendre les voix, à les mettre sur d’autres pistes, couper dans un son pour pouvoir l’intégrer dans un autre.
Jean Michel quitte ensuite le GRM…
H.D. : Il a eu alors son petit studio chez sa mère, où la table de mixage était faite dans une boîte à chaussures : il y avait trois Revox (photo ci-contre). C'était une époque de débrouillardise… Il retravaillait les voix comme des objets : elles offraient un matériel sonore différent de celui des signaux électriques, beaucoup plus riche et complexe. Dès le départ, il cherchait à moduler, à avoir des nuances, de l'expressivité. C'était très difficile avec les machines de l'époque, avec les ciseaux, ce n'était pas évident non plus. Il a aussi acheté le VCS-3. Grâce au GRM, il a eu accès à un matériel unique. Il a appris dans les meilleures conditions à utiliser cet appareillage. Il a toujours manifesté une grande reconnaissance envers Pierre Schaeffer, son seul maître, mais on ne s'est jamais enorgueilli, par la suite, au GRM ou à l'IRCAM, d'avoir accueilli Jarre parmi les gens qui ont travaillé dans ces institutions.
En 1971, Jean Michel réalise A.O.R.…
H.D. : Schmucki a demandé à Jean michel d'écrire la musique pour son ballet, lors de la réouverture de l'Opéra. L'électronique entrait dans le temple de la musique classique. C'est la première chose qu'il a faite dans son studio, avec sa boîte à chaussures et ses Revox. À l'Opéra, ce fut le scandale parmi les musiciens de la fosse, qui ont ouvert des bouteilles pendant les représentations et débranché les haut-parleurs. Ils riaient carrément de lui. Les danseurs, eux, étaient très contents : c'était une musique qui se dansait. Je me souviens de la générale : ce fut une vraie bataille d'Hernani!
Puis sont venus les premiers disques…
H.D. : Jean Michel a fait La Cage, un succès très mitigé… Cette musique-là, à l'époque n'intéressait pratiquement personne… Il a récidivé, en faisant un disque avec Samuel Hobo. À ce moment-là, j'ai commencé à travailler avec Francis Dreyfus. Je pensais que Jean Michel devait signer un contrat, avoir une mensualité importante pour acheter du matériel et passer à un autre stade. Francis Dreyfus a compris cela. Il avait une exclusivité sur les œuvres de Jean Michel, mais ne l'a jamais pressé à sortir quoi que ce soit.
Jean Michel a composé une disque superbe de musique d'environnement, Deserted Palace. Puis Francis a engagé la production d'un trente-trois tours avec Christophe. Il n'y avait pas de parolier, j'ai donc proposé Jean Michel. Cela a donné "Les Paradis perdus"… C'est ainsi que tout a commencé…
Propos recueillis par Christian Jacob
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13 août 2013
Interview de Denis Vanzetto (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Denis Vanzetto, ingénieur du son pour Jean Michel Jarre de 1983 au concert de La Défense du 14 juillet 1990.
Tu as commencé à travailler avec Jean Michel Jarre en 1983?
Denis Vanzetto : C'était au moment de l'enregistrement de Zoolook. J'ai eu la chance de commencer à travailler avec Jean Michel à un moment où il débutait une longue expérimentation sur le son qui allait faire date, puisqu'on parle toujours aujourd'hui de Zoolook. Et puis je collaborais avec David Lord, connu aussi pour son travail avec Peter Gabriel. Une aventure passionnante commençait pour moi et le donnait l'occasion de travailler en studio d'une façon tout à fait inhabituelle, dans une atmosphère de créativité constante, où tout est possible sans cesse. Dans les studios commerciaux, on est en principe là pour réaliser, et il y a une pendule! Avec Jean Michel, dans son propre studio, on est là pour créer. Ce qui fait aussi que le résultat peut être très différent. Avec du matériel qui en principe est prévu pour mixer, Jean Michel fabrique ses sons et sa musique. C'est cette sorte d'alchimie qui m'a toujours intéressé.
Au moment de Zoolook, c'était son utilisation personnelle du sampling qui était le point de départ des compositions. Jean Michel, peut-être à cause de son passé de chercheur au GRM, se mettait à utiliser des sons réels pour les détourner et s'en servir comme des sons d'instruments de musique. Vous imaginez! Il créait des architectures rythmiques et sonores en manipulant des samplings de voix ethniques!
Dans le travail de studio, est-ce que tu as une large d'initiative et de proposition?
D.V. : Toujours, Jean Michel est un compositeur qui aime les échanges avec les autres et le dialogue en général. C'est ce qui fait l'intérêt du travail avec lui. Il y a une complicité humaine. On est complice de ses rêves et de ses désirs. Et puis Jean Michel va quelquefois très loin dans le travail sur un son, qui peut être déterminant dans un morceau. Là où la plupart des compositeurs se seraient arrêtés en route, lui s'obstine pour faire coller le rêve à la réalité. C'est peut-être l'un des secrets de sa force : son obstination sans relâche. Et les trouvailles fortuites au studio font partie du travail habituel et contribuent au résultat final. Un son en entraîne un autre. Et Jean Michel conçoit la phase du mixage comme faisant partie du processus de la composition.
Les techniques de travail ont-elles beaucoup évoluées de Zoolook à Révolutions?
D.V. : Jean Michel aime l'ouverture. Chacun de ses projets est un concept différent, qui motive ses choix et le matériel qu'il utilise. Ses méthodes de travail peuvent changer entre les albums. Rendez-vous était basé sur des sonorités symphoniques, et Zoolook utilise beaucoup le sampling.
Dans le dernier album Révolutions, Jean Michel s'éloigne des traitements classiques, échos, reverbs. On entend de nombreux sons, comme perçus à travers un zoom, avec une approche acoustique très surréaliste.
Et j'ai aussi un œil sur toutes les innovations techniques, susceptibles de faciliter son travail.
Comment Jean Michel se comporte-t-il en studio?
D.V. : Il n'arrête pas! Il n'a pas d'horaires. Il a une santé exceptionnelle. Depuis Zoolook, ce sont sans arrêt des albms, des concerts, des films, des projets qui s'enchaînent.
Pour les concerts, quels sont les problèmes principaux de sonorisation?
D.V. : Les problèmes de sonorisation sont directement liés aux endroits qu'il a choisis et la répartition du public. À Houston c'était la marée humaine! À Lyon, le son rebondissait sur les quais de la Saône et la foule était de l'autre côté de la rivière, très étalée en largeur. Dans les Docklands, les gens étaient étalés, très en largeur avec peu de recul. Jean Michel a aussi le souci d'intégrer le mieux possible l'équipement de sono au décor de l'endroit, ce qui fait également travailler la matière grise!
De plus, il m'a confié la responsabilité du set up de toute l'installation son, schémas à l'appui, pour faire fonctionner le tout. Pas évident du tout quand on sait la quantité d'instruments sur scène. Pour le concert de Londres, on a même été jusqu'à se faire prêter une console SSL avec son automation complète, un modèle de studio! Dans l'enfer de pluie et de vent, elle a d'ailleurs craquée! L'eau était entrée dedans! Heureusement que les équipes techniques de SSL étaient là! Et heureusement aussi qu'Eric Alvergnat était là, et réagissait avec sang-froid et aplomb à tout les imprévus, et Dieu sait s'il y en a eu! Et puis, pendant le concert, ce vent infernal qui balayait les quais en largeur et nous faisait un incroyable effet de flanger qui n'était pas prévu dans la musique… On avait installé huit points de sono Meyer sur un kilomètre de large, sans délais. On est loin des installations traditionnelles de deux gros ensembles droite/gauche.
Est-tu intéressé par des expérimentations sur la spatialisation du son?
D.V. : C'est devenu une de mes préoccupations depuis le concert dans les Docklands. Jean Michel était intéressé par la spatialisation d'effets sonores. Nous n'avons malheureusement pas pu le réaliser à Londres. Je ne suis pas convaincu par les tentatives récentes de quadriphonie et d'ambiophonie. Il y a autre chose à faire que de bouger un son avec un joystick. On pourrait aujourd'hui avec le matériel existant, occuper l'espace dans les trois dimensions. Je travaille avec une société canadienne qui a conçu un équipement nouveau dans ce but.
Travailles-tu toujours avec Xavier Bellanger?
D.V. : Jean Michel m'a fait rencontrer Xavier, anthropologue spécialisé dans les musiques en voie de disparition dans le monde entier et qui participait également à l'aventure de Zoolook en 1983. Il fait partie des rares scientifiques qui veulent montrer leurs recherches avec un sentiment esthétique. Il utilise les meilleures techniques audiovisuelles actuelles. Je reviens d'ailleurs d'une expédition d'un mois et demi avec lui en forêt amazonienne où j'ai enregistré avec un magnéto portable DAT. J'espère aussi contribuer aux recherches de Jean Michel par ce biais.
Propos recueillis par Christian Jacob
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12 août 2013
Interview de Francis Rimbert (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Francis Rimbert, fidèle parmi les fidèles de ses collaborateurs sur toutes les scènes du monde depuis Houston en 1986.
Comment les techniciens américains vous ont-ils reçus à Houston?
Francis Rimbert : Il y avait les plus grands professionnels du monde entier, et nous on arrive avec nos Eminent qui se désaccordent, les prises MIDI qu'on a publiées à la maison, les cassettes de sons qui se sont effacées à la douane… Les Américains nous ont d'abord pris pour des cinglés, quand ils ont vu ce qu'on déballait… Le Jupiter-6 tenait avec deux vis. Pour le faire marcher, je l'ouvrais et lui donnais un coup de poing : il y avait une broche qui ne marchait pas… Ils venaient avec des fers à souder : "Non, non, on tape là, c'est tout." Dès qu'on a commencé à travailler avec eux, ils arrivaient avec leurs consoles : "Au niveau des reverbs de retour, il y a des Lexico, tu en veux combien, sept, huit?" Quelle que soit ta musique, ils font un travail pro…
Quels sont les rapports entre Jean Michel et ses musiciens?
F.R. : On se comprend à demi-mots. C'est un aristocrate. C'est pas l'ambiance musicos, les grosses bouffes, les soirées jusqu'à cinq heures du matin dans les petits bars, etc. avec Jean Ichel, c'est dix fois mieux. Je l'appelle "le Boss" par antiphrase. Il ne pique jamais de crise de nerfs, je ne l'ai jamais vu craquer. même à Docklands… On n'a pas le son, on a des problèmes de connexions… Jean Michel arrive : "Pas de problème, on va te mettre tel synthé, et te le brancher." Il y a une ambiance super. Jean Michel respecte chacun, nos façons de travailler, notre humour, notre conception des synthés… Il sait préserver notre indépendance et notre tempérament, il veut bien qu'on s'exprime et il est prêt à accepter l'idée d'un chorus, mais en même temps, il ne veut pas changer… Il te dit par exemple de faire un arrangement, mais au moment où tu vas le faire, le maître revient : "Non, mais attend, là cela change trop, tu ne peux pas refaire ce son-là?" Tu refais le son et tu reviens à ce qu'il avait fait, et qui était parfait.
Et le concert des Docklands?
F.R. : Je pense que ce fut le concert le plus dangereux. Quand on est montés sur scène, je vois arriver Jean Michel sur sa barque. On était avec Jo Hammer dans un coin, sous la pluie. Jean Michel monte. On a cru qu'il allait nous dire : "On annule tout." Il a dit : "On est en retard, il faut y aller." Tout pétait de partout, et lui : "Pas de problème." On a déliré avec Sylvain Durand, qui avait un petit ocarina. Dès qu'on avait fini les répétitions, on allait dans le seul pub ouvert. Moi, j'avais un petit sax Casio. On s'amusait comme des fous, on jouait "Oxygène"… Je m'étais acheté un nez rouge et des gants et on déboulait dans le pub, On se faisait payer des bières… On était dans un état… On s'est fait des copains!
Et Lyon?
F.R. : Lyon, c'était sympa et familial, beau temps, le pape qui a chauffé la foule : "Je vous envoie en mission…" Il y avait aussi le syndrome de la bombe… On était hyoersurveillés. Il y avait des grilles en ferraille avec des projecteurs s'allumaient. Quand ils te balancent cette sauce qui t'arrive dans l'œil, c'est hyperdur, cela te fait mal. Il y avait des gens qui grouillaient sous la scène, ils étaient tous en train de chercher la fameuse bombe. Malgré le volume sonore, j'entendais ce qu'ils disaient. "Alors, tu l'as vue? La bombe? Non, la clé de 12. Oui, elle est là… La bombe? Non, la clé de douze." C'était énervant…
Pour les synthés, tu as connu ceux de la première génération… Comment vois-tu leur évolution, de manière rétrospective?
F.R. : Pour moi, la principale révolution, c'est le MIDI : c'est ce que j'attendais, avec les possibilités de synchro, les séquences et l'enregistrement multipiste. je crois qu'on est encore au début du synthé. Le faut que l'on puisse agir de moins en moins en temps réel, c'est débile. Le point sensible, c'est l'interface entre la machine et l'homme. Un ARP 2600 est plus facile à programmer qu'un M1… Les workstations, ce sont des orgue-meuble d'il y a dix ans… Le sampling, finalement, nous a fait faire machine arrière, même si j'ai été le premier à me jeter dessus. Je me suis laissé séduire par les sons d'imitation, les beaux violons. Grâce au sampling, tous les musiciens de bal ont viré leur trompettiste! Mais je vois des signes encourageants : la resynthèse.
Propos recueillis par G.D.
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