18 août 2013
Interview de Dominique Perrier (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Dominique Perrier, qui a travaillé avec Jean Michel Jarre d'abord avec Christophe au Studio Ferber, puis comme musicien de scène et de studio à partir de 1981.
Comment est venue l'aventure chinoise avec Jean Michel Jarre?
Dominique Perrier : "Quand on a créé le groupe Space Art avec Roger Rizitelli, c'étaient les débuts du synthé et des home studios. On n'avait que des grosses armoires, les Moog, les ARP, on jouait d'un seul doigt. En 1981, Jean Michel nous a appelés, Roger Rizitelli et moi : "Est-ce que cela vous intéresserait de venir en Chine avec moi?" On s'est fait un voyage magnifique. C'était un peu Tintin en Chine, on était complètement hallucinés."
Comment s'est réparti le travail entre vous?
D.P. : "Frédérick Rousseau s'occupait de tout ce qui était séquences, avec le MDB. Moi je m'occupais des solos sur le Moog Liberation, le premier synthé portable. Jean Michel s'occupait du Fairlight et des VCS-3. Il faisait aussi la mise en scène, avec un mégaphone pour parler à tout le monde pendant les répétitions."
Est-ce qu'il était directif pour l'orchestration des morceaux?
D.P. : "Dans son studio à Croissy, il nous faisait écouter les cassettes : "Bon alors, toi tu fais ceci, toi tu fais cela… Ce son est très important… " C'était très structuré. Au départ, il n'y avait pas de place pour l'improvisation. Mais une fois arrivés en Chine, heureusement, il y a eu de la place pour l'impro avec les pannes, etc."
Tu te rappelles de gags pendant les concerts?
D.P. : "Oui, par exemple, quand ils ont arrêté le courant deux minutes avant que ça ne commence… Le séquenceur MDB était content… Toute l'écriture laser a été effacée. Il a fallu reprogrammer. Et ce fut fabuleux. Pendant tout le concert, j'étais la tête en l'air à regarder le laser. Alors Jean Michel m'a dit : "Pour le prochain concert, il faut que tu penses à l'image que tu donnes…" Mais lui aussi, je l'ai surpris le nez apen l'air, à regarder les feux d'artifice… Il avait ses racks d'EMS et des néons au-dessus, c'était une crêperie carrément… Moi j'étais avec mon Moog Liberation et je sautais en l'air grâce à un grand fil, et lui, il était dans sa crêperie, avec le porte-voix en plus. Il jonglait avec les disquettes du Fairlight, il y avait des moniteurs partout, c'était Noël…"
Vous vous éclatiez sur scène?
D.P. : "Oui, complètement. je me souviens qu'au démarrage du premier concert, Roger n'était pas sonorisé. Il jouait une Simmons, avec les pads. Il n'y avait pas de courant, on entendait juste le bruit de la baguette sur le formica… Il frappait avec une telle rage, à cause de cette panne de courant, que le son était magnifique. Puis l'électricité est revenue… On a appris qu'on peut même taper sur du formica dans un stade!"
Et puis il y a eu Houston…
D.P. : "Techniquement, c'était la folie. Jusqu'au dernier moment, pour les répétitions, c'était le chantier et les américains disaient : "Ils ne vont jamais s'en sortir, ils sont cinglés!" Ils ont appris ce qu'était le feeling. Je me rappelle le premier coup de grosse caisse de Jo Hammer dans la sono de Houston, j'étais au bar de l'hôtel avec Francis. Il s'est levé et il a dit : "Qu'est-ce qu'il se passe, il y a de l'orage?" C'était comme un tremblement de terre dans la ville entière!"
Vous vous amusiez bien entre musiciens?
D.P. : "On se branchait des cordons MIDI entre nous pour se changer les programmes à distance pendant les répétitions. Ils me scotchaient les touches du clavier par en-dessous. Je voulais faire une note et il y avait un accord qui sortait… Bref, c'était l'école maternelle…"
Tu as joué sur l'album Révolutions…
D.P. : "J'aime bien jouer comme un instrumentiste. On me branche un synthé et je joue. Jean Michel me donne huit pistes, je fais huit chorus différents, puis il les monte. Il refait le chorus, mais je suis obligé de la réapprendre pour la scène, note par note, car je ne l'ai jamais joué. Pour Révolutions, Jean Michel état à côté de moi, on travaillait ensemble. Il m'a appris à mettre en scène la musique. par exemple, je fais un chorus que je trouve superbe, et Jean Michel me dit : "Non, cela monte trop vite, il faut attendre un peu…" Souvent je commence, et je dis "Stop, ce n'est pas bon." Lui il me dit : "Cela ne fait rien, on le garde, continue…" C'est comme pour une scène de cinéma où l'on fait plusieurs prises… Maurice Jarre fait des musiques de films, mais son fils fait à la fois les films et la musique!"
Est-ce que Jean Michel a des trucs pour relancer l'inspiration en studio?
D.P. : "Il écoute un disque des Shadows, pour revenir dans son enfance et remettre l'église au milieu du village…"
Que t'inspire sa carrière?
D.P. : "Il a réalisé son rêve de môme. Au départ, il fait de la musique pour se la vendre à lui. Il s'amuse beaucoup. Et il est arrivé au bon moment. Jean Michel c'est un peu l'IRCAM souriant, avec le plaisir, l'envie, l'enthousiasme."
Propos recueillis par Christian Jacob
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17 août 2013
Interview de Frédérick Rousseau (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Frédérick Rousseau, qui a travaillé avec Jean Michel Jarre entre 1981 et 1985, et ponctuellement en 1990 pour le concert de La Défense.
Quand avez-vous rencontré Jean Michel Jarre pour la première fois?
Frédérick Rousseau : C'était un jour d'avril 1981, Jean Michel est venu au magasin Music Land où je faisais des démonstrations du MDB, le premier séquenceur à huit voies CV Gate. Il m'a proposé de partir en Chine avec lui et j'ai accepté.
Pendant l'été, j'ai reprogrammé toutes ses séquences. Je travaillais sur un modulaire RSF avec huit programmeurs. Il y avait trois enjeux : premier grand concert live de Jean Michel, on était quatre sur scène, et il fallait tout faire sans se planter. En tout, cinq concerts, deux à Pékin, trois à Shanghai. Tout a été enregistré live, on a remixé à Paris. Et cela a donné Les Concerts en Chine. En Chine, on arrivait sur une terre vierge, avec un décalage horaire de trente ans (sic)… Imagine la soucope volante de "Rencontres du troisième type" atterrissant sur la Concorde !
Des galères techniques?
F.R. : À Shanghai, à un moment, on passe d'Equinoxe IV à l'Arpégiateur. Je charge le programme dans le MDB, et je fais "Play" et la séquence s'arrête au bout de deux mesures… Quand tu es devant soixante mille personnes, il y a un vent de panique sur scène. J'appelle Perrier : "Fais-moi une nappe de violons avec deux-trois effets, je refais l'interface…" Nouveau plantage. J'appelle Jean Michel : "On ne peut pas jouer ce titre-là" "Bouge pas, j'arrive…" On a refait un morceau entièrement live : on a fait une séquence de base, "dong-dong-dong-dong", qui s'est mise en boucle. On passe sur la piste suivante avec un autre son, petite séquence en temps réel avec des blancs. Troisième poste, quatrième. Jean Michel avait fait toutes les séquences en Do majeur. il est parti du Do pour lancer l'intro, et ensuite il était au casque intercom et il faisait "Mi bémol, poum, la-lala, poum, lalala, poum"…
Pour toi, ce fut une expérience fantastique?
F.R. : Mon seul souci, c'était d'assurer. J'étais conscient de ma responsabilité dans le déroulement du conct (toutes les séquences !). Je savais que cela pouvait de me faire une place dans le monde de la musique. Et effectivement, j'ai créé un studio, et je travaille maintenant avec de grands artistes… Le seul costard qu'on m'a taillé en Chine, c'est qu'on l'a surnommé le pingouin. parce que j'étais souvent habillé en noir et blanc et que je n'arrêtais pas de râler. Quand je râle, je lêve les bras, et je ressemble à un pingouin…
Vient ensuite votre travail sur Zoolook.
F.R. : Il y a eu d'abord Musique pour supermarché, qui a permis de préparer le terrain. Zoolook a compris cinq phases. D'abord, le master sur 24-pistes. L'idée état de gérer des samplings, des boucles de sons, des sons arythmiques déclenchés par des percussions. On a mis Arlette Laguiller à la place d'une charleston, Bernard Pivot, etc. Jean Michel a passé plus de trois mois en studio à choisir des samoles de voix indiennes, esquimaudes, grâce aux enregistrements fournis par Xavier Bellenger. Denis Vanzetto est entré dans l'équipe à ce moment-là. On a faut le faleux son du début d'Ethnicolor, un cri humain lu à l'envers à une vitesse ralentie deux fois. On y passait des jours et des nuits…
F.R. : Puis vous partez aux États-Unis…
C'est la deuxième phase du délire : New York, avec Laurie Anderson, Yorgi Horton à la batterie, Marcus Miller à la basse, Adrian Belew à la guitare… de retour en France, Jean Michel a voulu rendre le travail des américains le plus "européen" possible. Alors, il a fallu sampler entièrement la batterie de Yorgi, les charleys, les cymbales, les toms, et les redéclencher par la Linn, pour obtenir une rigueur mécanique, mais avec les sons de Yogi Horton. Pareil pour Marcus Miller, qui jouait trop dans le style Miles Davis. il y avait un côté "couper/coller" bien avant toute la vague du sampling… Quatrième phase, il a fallu aller à Londres faire le mix avec David Lord. Cinquième phase, faire cela en numérique.
F.R. : Cette expérience t'a beaucoup appris?
Jean Michel pousse le délire de la production jusqu'au bout. J'ai tenu avec lui pendant quatre ans et demi, à la fin j'ai craqué : il m'a rendu fou! Mais je ne le regrette pas, car il m'a appris à aller au bout des choses, avec la fameuse dernière line droite. Quand on fait un disque, commencer les rythmiques, etc. C'est très simple. Mais ensuite finaliser le produit et faire qu'après le mixage, le morceau soit toujours aussi génial et ait autant d'émotions, c'est terriblement compliqué. J'adore son côté puriste et perfectionniste. Pour moi, la perfection c'est pousser une idée au maximum. La perfection devient ridicule quand tu vas tellement loin que tu détruis l'idée majeure. Jean Michel est assez fort dans la mesure où il s'arrête avant. En ayant travaillé cinq ans avec lui, je suis devenu son disciple…
F.R. : Comment travaille Jean Michel en studio?
Jarre, c'est le professeur Tournesol : il branche le truc avec le machin, le machin avec le bidule et ça fait un bruit invraisemblable! Je l'imagine beaucoup plus avec un synthé dans ne boîte à chaussures que dans un décor "Star Wars" nickel avec des D-50 partout. Avec les vieilles machines, il va reprendre goût à la musique, il va la pousser au bout. Il faut qu'il retrouve l'excitation du synthé. C'est un des artistes qui a le plus de santé dans ce métier. Il est à la fois lève-tôt et couche-tard! Quand je mangeais la moquette tellement j'étais épuisé, lui, il était debout en train de dire : "Attends, il faudrait encore faire ça." Il est incassable…
Propos recueillis par Christian Jacob
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14 août 2013
Interview d'Hélène Dreyfus sur les débuts de Jean Michel Jarre (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Hèlène Dreyfus, étudiante au GRM en septembre 1968, et qui a accompagné les premiers pas de Jean Michel Jarre quand il s'est mis à vivre de sa musique.
Quel était son travail au GRM?
Hélène Dreyfus : Le musée de l’Homme nous avait confié un stock de bandes de musiques ethniques. En les recopiant, on les a écoutées. Jean Michel s’est passionné pour la voix plus que pour les instruments. On avait chacun notre stock de bandes, mais lui s’appropriait toujours les bandes de voix. On ne parlait pas en termes de notes, mais d’amas de sons, d’objets sonores. Il disséquait ces voix et a découvert une matière sonore nouvelle, bien avant qu’on ne parle de métissage, d’échantillonnage. Zoolook est la continuation de ce travail.
Il a découvert les premiers synthétiseurs au GRM?
H.D. : Il y avait un studio avec le grand Moog, réservé aux compositeurs établis : François Bayle, Guy Reibel, Parmegiani. Au bout de deux mois, Jean Michel travaillait déjà dans ce studio. Ce qu'il a sorti du Moog au bout de cinq minutes, c'était de la musique, alors que les autres faisaient beaucoup plus "cric, crac, boum!". Pour lui, c'était instinctif. Je pense que Parmegiani et Bayle l'ont laissé faire parce qu'ils l'ont quand même reconnu comme un vrai musicien. Jean Michel a pris des années d’avance sur les autres au GRM. Nous on était dans de petits studios avec deux ou trois magnétophones à quatre pistes, et on se débrouillait avec nos bandes et nos ciseaux : "Je te coupe un son, etc." On devait faire des compositions qui n’excède pas cinq à six minutes. La première fois que Jean-Michel a présenté une œuvre, c’était superbe. Pierre Schaeffer a dit : "Mais vous composez comme votre père!". Il s’amusait à prendre les voix, à les mettre sur d’autres pistes, couper dans un son pour pouvoir l’intégrer dans un autre.
Jean Michel quitte ensuite le GRM…
H.D. : Il a eu alors son petit studio chez sa mère, où la table de mixage était faite dans une boîte à chaussures : il y avait trois Revox (photo ci-contre). C'était une époque de débrouillardise… Il retravaillait les voix comme des objets : elles offraient un matériel sonore différent de celui des signaux électriques, beaucoup plus riche et complexe. Dès le départ, il cherchait à moduler, à avoir des nuances, de l'expressivité. C'était très difficile avec les machines de l'époque, avec les ciseaux, ce n'était pas évident non plus. Il a aussi acheté le VCS-3. Grâce au GRM, il a eu accès à un matériel unique. Il a appris dans les meilleures conditions à utiliser cet appareillage. Il a toujours manifesté une grande reconnaissance envers Pierre Schaeffer, son seul maître, mais on ne s'est jamais enorgueilli, par la suite, au GRM ou à l'IRCAM, d'avoir accueilli Jarre parmi les gens qui ont travaillé dans ces institutions.
En 1971, Jean Michel réalise A.O.R.…
H.D. : Schmucki a demandé à Jean michel d'écrire la musique pour son ballet, lors de la réouverture de l'Opéra. L'électronique entrait dans le temple de la musique classique. C'est la première chose qu'il a faite dans son studio, avec sa boîte à chaussures et ses Revox. À l'Opéra, ce fut le scandale parmi les musiciens de la fosse, qui ont ouvert des bouteilles pendant les représentations et débranché les haut-parleurs. Ils riaient carrément de lui. Les danseurs, eux, étaient très contents : c'était une musique qui se dansait. Je me souviens de la générale : ce fut une vraie bataille d'Hernani!
Puis sont venus les premiers disques…
H.D. : Jean Michel a fait La Cage, un succès très mitigé… Cette musique-là, à l'époque n'intéressait pratiquement personne… Il a récidivé, en faisant un disque avec Samuel Hobo. À ce moment-là, j'ai commencé à travailler avec Francis Dreyfus. Je pensais que Jean Michel devait signer un contrat, avoir une mensualité importante pour acheter du matériel et passer à un autre stade. Francis Dreyfus a compris cela. Il avait une exclusivité sur les œuvres de Jean Michel, mais ne l'a jamais pressé à sortir quoi que ce soit.
Jean Michel a composé une disque superbe de musique d'environnement, Deserted Palace. Puis Francis a engagé la production d'un trente-trois tours avec Christophe. Il n'y avait pas de parolier, j'ai donc proposé Jean Michel. Cela a donné "Les Paradis perdus"… C'est ainsi que tout a commencé…
Propos recueillis par Christian Jacob
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13 août 2013
Interview de Denis Vanzetto (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Denis Vanzetto, ingénieur du son pour Jean Michel Jarre de 1983 au concert de La Défense du 14 juillet 1990.
Tu as commencé à travailler avec Jean Michel Jarre en 1983?
Denis Vanzetto : C'était au moment de l'enregistrement de Zoolook. J'ai eu la chance de commencer à travailler avec Jean Michel à un moment où il débutait une longue expérimentation sur le son qui allait faire date, puisqu'on parle toujours aujourd'hui de Zoolook. Et puis je collaborais avec David Lord, connu aussi pour son travail avec Peter Gabriel. Une aventure passionnante commençait pour moi et le donnait l'occasion de travailler en studio d'une façon tout à fait inhabituelle, dans une atmosphère de créativité constante, où tout est possible sans cesse. Dans les studios commerciaux, on est en principe là pour réaliser, et il y a une pendule! Avec Jean Michel, dans son propre studio, on est là pour créer. Ce qui fait aussi que le résultat peut être très différent. Avec du matériel qui en principe est prévu pour mixer, Jean Michel fabrique ses sons et sa musique. C'est cette sorte d'alchimie qui m'a toujours intéressé.
Au moment de Zoolook, c'était son utilisation personnelle du sampling qui était le point de départ des compositions. Jean Michel, peut-être à cause de son passé de chercheur au GRM, se mettait à utiliser des sons réels pour les détourner et s'en servir comme des sons d'instruments de musique. Vous imaginez! Il créait des architectures rythmiques et sonores en manipulant des samplings de voix ethniques!
Dans le travail de studio, est-ce que tu as une large d'initiative et de proposition?
D.V. : Toujours, Jean Michel est un compositeur qui aime les échanges avec les autres et le dialogue en général. C'est ce qui fait l'intérêt du travail avec lui. Il y a une complicité humaine. On est complice de ses rêves et de ses désirs. Et puis Jean Michel va quelquefois très loin dans le travail sur un son, qui peut être déterminant dans un morceau. Là où la plupart des compositeurs se seraient arrêtés en route, lui s'obstine pour faire coller le rêve à la réalité. C'est peut-être l'un des secrets de sa force : son obstination sans relâche. Et les trouvailles fortuites au studio font partie du travail habituel et contribuent au résultat final. Un son en entraîne un autre. Et Jean Michel conçoit la phase du mixage comme faisant partie du processus de la composition.
Les techniques de travail ont-elles beaucoup évoluées de Zoolook à Révolutions?
D.V. : Jean Michel aime l'ouverture. Chacun de ses projets est un concept différent, qui motive ses choix et le matériel qu'il utilise. Ses méthodes de travail peuvent changer entre les albums. Rendez-vous était basé sur des sonorités symphoniques, et Zoolook utilise beaucoup le sampling.
Dans le dernier album Révolutions, Jean Michel s'éloigne des traitements classiques, échos, reverbs. On entend de nombreux sons, comme perçus à travers un zoom, avec une approche acoustique très surréaliste.
Et j'ai aussi un œil sur toutes les innovations techniques, susceptibles de faciliter son travail.
Comment Jean Michel se comporte-t-il en studio?
D.V. : Il n'arrête pas! Il n'a pas d'horaires. Il a une santé exceptionnelle. Depuis Zoolook, ce sont sans arrêt des albms, des concerts, des films, des projets qui s'enchaînent.
Pour les concerts, quels sont les problèmes principaux de sonorisation?
D.V. : Les problèmes de sonorisation sont directement liés aux endroits qu'il a choisis et la répartition du public. À Houston c'était la marée humaine! À Lyon, le son rebondissait sur les quais de la Saône et la foule était de l'autre côté de la rivière, très étalée en largeur. Dans les Docklands, les gens étaient étalés, très en largeur avec peu de recul. Jean Michel a aussi le souci d'intégrer le mieux possible l'équipement de sono au décor de l'endroit, ce qui fait également travailler la matière grise!
De plus, il m'a confié la responsabilité du set up de toute l'installation son, schémas à l'appui, pour faire fonctionner le tout. Pas évident du tout quand on sait la quantité d'instruments sur scène. Pour le concert de Londres, on a même été jusqu'à se faire prêter une console SSL avec son automation complète, un modèle de studio! Dans l'enfer de pluie et de vent, elle a d'ailleurs craquée! L'eau était entrée dedans! Heureusement que les équipes techniques de SSL étaient là! Et heureusement aussi qu'Eric Alvergnat était là, et réagissait avec sang-froid et aplomb à tout les imprévus, et Dieu sait s'il y en a eu! Et puis, pendant le concert, ce vent infernal qui balayait les quais en largeur et nous faisait un incroyable effet de flanger qui n'était pas prévu dans la musique… On avait installé huit points de sono Meyer sur un kilomètre de large, sans délais. On est loin des installations traditionnelles de deux gros ensembles droite/gauche.
Est-tu intéressé par des expérimentations sur la spatialisation du son?
D.V. : C'est devenu une de mes préoccupations depuis le concert dans les Docklands. Jean Michel était intéressé par la spatialisation d'effets sonores. Nous n'avons malheureusement pas pu le réaliser à Londres. Je ne suis pas convaincu par les tentatives récentes de quadriphonie et d'ambiophonie. Il y a autre chose à faire que de bouger un son avec un joystick. On pourrait aujourd'hui avec le matériel existant, occuper l'espace dans les trois dimensions. Je travaille avec une société canadienne qui a conçu un équipement nouveau dans ce but.
Travailles-tu toujours avec Xavier Bellanger?
D.V. : Jean Michel m'a fait rencontrer Xavier, anthropologue spécialisé dans les musiques en voie de disparition dans le monde entier et qui participait également à l'aventure de Zoolook en 1983. Il fait partie des rares scientifiques qui veulent montrer leurs recherches avec un sentiment esthétique. Il utilise les meilleures techniques audiovisuelles actuelles. Je reviens d'ailleurs d'une expédition d'un mois et demi avec lui en forêt amazonienne où j'ai enregistré avec un magnéto portable DAT. J'espère aussi contribuer aux recherches de Jean Michel par ce biais.
Propos recueillis par Christian Jacob
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12 août 2013
Interview de Francis Rimbert (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Francis Rimbert, fidèle parmi les fidèles de ses collaborateurs sur toutes les scènes du monde depuis Houston en 1986.
Comment les techniciens américains vous ont-ils reçus à Houston?
Francis Rimbert : Il y avait les plus grands professionnels du monde entier, et nous on arrive avec nos Eminent qui se désaccordent, les prises MIDI qu'on a publiées à la maison, les cassettes de sons qui se sont effacées à la douane… Les Américains nous ont d'abord pris pour des cinglés, quand ils ont vu ce qu'on déballait… Le Jupiter-6 tenait avec deux vis. Pour le faire marcher, je l'ouvrais et lui donnais un coup de poing : il y avait une broche qui ne marchait pas… Ils venaient avec des fers à souder : "Non, non, on tape là, c'est tout." Dès qu'on a commencé à travailler avec eux, ils arrivaient avec leurs consoles : "Au niveau des reverbs de retour, il y a des Lexico, tu en veux combien, sept, huit?" Quelle que soit ta musique, ils font un travail pro…
Quels sont les rapports entre Jean Michel et ses musiciens?
F.R. : On se comprend à demi-mots. C'est un aristocrate. C'est pas l'ambiance musicos, les grosses bouffes, les soirées jusqu'à cinq heures du matin dans les petits bars, etc. avec Jean Ichel, c'est dix fois mieux. Je l'appelle "le Boss" par antiphrase. Il ne pique jamais de crise de nerfs, je ne l'ai jamais vu craquer. même à Docklands… On n'a pas le son, on a des problèmes de connexions… Jean Michel arrive : "Pas de problème, on va te mettre tel synthé, et te le brancher." Il y a une ambiance super. Jean Michel respecte chacun, nos façons de travailler, notre humour, notre conception des synthés… Il sait préserver notre indépendance et notre tempérament, il veut bien qu'on s'exprime et il est prêt à accepter l'idée d'un chorus, mais en même temps, il ne veut pas changer… Il te dit par exemple de faire un arrangement, mais au moment où tu vas le faire, le maître revient : "Non, mais attend, là cela change trop, tu ne peux pas refaire ce son-là?" Tu refais le son et tu reviens à ce qu'il avait fait, et qui était parfait.
Et le concert des Docklands?
F.R. : Je pense que ce fut le concert le plus dangereux. Quand on est montés sur scène, je vois arriver Jean Michel sur sa barque. On était avec Jo Hammer dans un coin, sous la pluie. Jean Michel monte. On a cru qu'il allait nous dire : "On annule tout." Il a dit : "On est en retard, il faut y aller." Tout pétait de partout, et lui : "Pas de problème." On a déliré avec Sylvain Durand, qui avait un petit ocarina. Dès qu'on avait fini les répétitions, on allait dans le seul pub ouvert. Moi, j'avais un petit sax Casio. On s'amusait comme des fous, on jouait "Oxygène"… Je m'étais acheté un nez rouge et des gants et on déboulait dans le pub, On se faisait payer des bières… On était dans un état… On s'est fait des copains!
Et Lyon?
F.R. : Lyon, c'était sympa et familial, beau temps, le pape qui a chauffé la foule : "Je vous envoie en mission…" Il y avait aussi le syndrome de la bombe… On était hyoersurveillés. Il y avait des grilles en ferraille avec des projecteurs s'allumaient. Quand ils te balancent cette sauce qui t'arrive dans l'œil, c'est hyperdur, cela te fait mal. Il y avait des gens qui grouillaient sous la scène, ils étaient tous en train de chercher la fameuse bombe. Malgré le volume sonore, j'entendais ce qu'ils disaient. "Alors, tu l'as vue? La bombe? Non, la clé de 12. Oui, elle est là… La bombe? Non, la clé de douze." C'était énervant…
Pour les synthés, tu as connu ceux de la première génération… Comment vois-tu leur évolution, de manière rétrospective?
F.R. : Pour moi, la principale révolution, c'est le MIDI : c'est ce que j'attendais, avec les possibilités de synchro, les séquences et l'enregistrement multipiste. je crois qu'on est encore au début du synthé. Le faut que l'on puisse agir de moins en moins en temps réel, c'est débile. Le point sensible, c'est l'interface entre la machine et l'homme. Un ARP 2600 est plus facile à programmer qu'un M1… Les workstations, ce sont des orgue-meuble d'il y a dix ans… Le sampling, finalement, nous a fait faire machine arrière, même si j'ai été le premier à me jeter dessus. Je me suis laissé séduire par les sons d'imitation, les beaux violons. Grâce au sampling, tous les musiciens de bal ont viré leur trompettiste! Mais je vois des signes encourageants : la resynthèse.
Propos recueillis par G.D.
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