17 août 2013
Interview de Frédérick Rousseau (1990)
Interview à Claviers magazine en janvier 1990 de Frédérick Rousseau, qui a travaillé avec Jean Michel Jarre entre 1981 et 1985, et ponctuellement en 1990 pour le concert de La Défense.
Quand avez-vous rencontré Jean Michel Jarre pour la première fois?
Frédérick Rousseau : C'était un jour d'avril 1981, Jean Michel est venu au magasin Music Land où je faisais des démonstrations du MDB, le premier séquenceur à huit voies CV Gate. Il m'a proposé de partir en Chine avec lui et j'ai accepté.
Pendant l'été, j'ai reprogrammé toutes ses séquences. Je travaillais sur un modulaire RSF avec huit programmeurs. Il y avait trois enjeux : premier grand concert live de Jean Michel, on était quatre sur scène, et il fallait tout faire sans se planter. En tout, cinq concerts, deux à Pékin, trois à Shanghai. Tout a été enregistré live, on a remixé à Paris. Et cela a donné Les Concerts en Chine. En Chine, on arrivait sur une terre vierge, avec un décalage horaire de trente ans (sic)… Imagine la soucope volante de "Rencontres du troisième type" atterrissant sur la Concorde !
Des galères techniques?
F.R. : À Shanghai, à un moment, on passe d'Equinoxe IV à l'Arpégiateur. Je charge le programme dans le MDB, et je fais "Play" et la séquence s'arrête au bout de deux mesures… Quand tu es devant soixante mille personnes, il y a un vent de panique sur scène. J'appelle Perrier : "Fais-moi une nappe de violons avec deux-trois effets, je refais l'interface…" Nouveau plantage. J'appelle Jean Michel : "On ne peut pas jouer ce titre-là" "Bouge pas, j'arrive…" On a refait un morceau entièrement live : on a fait une séquence de base, "dong-dong-dong-dong", qui s'est mise en boucle. On passe sur la piste suivante avec un autre son, petite séquence en temps réel avec des blancs. Troisième poste, quatrième. Jean Michel avait fait toutes les séquences en Do majeur. il est parti du Do pour lancer l'intro, et ensuite il était au casque intercom et il faisait "Mi bémol, poum, la-lala, poum, lalala, poum"…
Pour toi, ce fut une expérience fantastique?
F.R. : Mon seul souci, c'était d'assurer. J'étais conscient de ma responsabilité dans le déroulement du conct (toutes les séquences !). Je savais que cela pouvait de me faire une place dans le monde de la musique. Et effectivement, j'ai créé un studio, et je travaille maintenant avec de grands artistes… Le seul costard qu'on m'a taillé en Chine, c'est qu'on l'a surnommé le pingouin. parce que j'étais souvent habillé en noir et blanc et que je n'arrêtais pas de râler. Quand je râle, je lêve les bras, et je ressemble à un pingouin…
Vient ensuite votre travail sur Zoolook.
F.R. : Il y a eu d'abord Musique pour supermarché, qui a permis de préparer le terrain. Zoolook a compris cinq phases. D'abord, le master sur 24-pistes. L'idée état de gérer des samplings, des boucles de sons, des sons arythmiques déclenchés par des percussions. On a mis Arlette Laguiller à la place d'une charleston, Bernard Pivot, etc. Jean Michel a passé plus de trois mois en studio à choisir des samoles de voix indiennes, esquimaudes, grâce aux enregistrements fournis par Xavier Bellenger. Denis Vanzetto est entré dans l'équipe à ce moment-là. On a faut le faleux son du début d'Ethnicolor, un cri humain lu à l'envers à une vitesse ralentie deux fois. On y passait des jours et des nuits…
F.R. : Puis vous partez aux États-Unis…
C'est la deuxième phase du délire : New York, avec Laurie Anderson, Yorgi Horton à la batterie, Marcus Miller à la basse, Adrian Belew à la guitare… de retour en France, Jean Michel a voulu rendre le travail des américains le plus "européen" possible. Alors, il a fallu sampler entièrement la batterie de Yorgi, les charleys, les cymbales, les toms, et les redéclencher par la Linn, pour obtenir une rigueur mécanique, mais avec les sons de Yogi Horton. Pareil pour Marcus Miller, qui jouait trop dans le style Miles Davis. il y avait un côté "couper/coller" bien avant toute la vague du sampling… Quatrième phase, il a fallu aller à Londres faire le mix avec David Lord. Cinquième phase, faire cela en numérique.
F.R. : Cette expérience t'a beaucoup appris?
Jean Michel pousse le délire de la production jusqu'au bout. J'ai tenu avec lui pendant quatre ans et demi, à la fin j'ai craqué : il m'a rendu fou! Mais je ne le regrette pas, car il m'a appris à aller au bout des choses, avec la fameuse dernière line droite. Quand on fait un disque, commencer les rythmiques, etc. C'est très simple. Mais ensuite finaliser le produit et faire qu'après le mixage, le morceau soit toujours aussi génial et ait autant d'émotions, c'est terriblement compliqué. J'adore son côté puriste et perfectionniste. Pour moi, la perfection c'est pousser une idée au maximum. La perfection devient ridicule quand tu vas tellement loin que tu détruis l'idée majeure. Jean Michel est assez fort dans la mesure où il s'arrête avant. En ayant travaillé cinq ans avec lui, je suis devenu son disciple…
F.R. : Comment travaille Jean Michel en studio?
Jarre, c'est le professeur Tournesol : il branche le truc avec le machin, le machin avec le bidule et ça fait un bruit invraisemblable! Je l'imagine beaucoup plus avec un synthé dans ne boîte à chaussures que dans un décor "Star Wars" nickel avec des D-50 partout. Avec les vieilles machines, il va reprendre goût à la musique, il va la pousser au bout. Il faut qu'il retrouve l'excitation du synthé. C'est un des artistes qui a le plus de santé dans ce métier. Il est à la fois lève-tôt et couche-tard! Quand je mangeais la moquette tellement j'étais épuisé, lui, il était debout en train de dire : "Attends, il faudrait encore faire ça." Il est incassable…
Propos recueillis par Christian Jacob
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