12 janvier 2013
Interview de Jean Michel Jarre sur Pierre Schaeffer (2010)
Philippe Thanh: Comment avez-vous rencontré Pierre Schaeffer ?
Jean Michel Jarre: Après avoir été l'élève de Jeanine Rueff au Conservatoire de Paris et être passé dans quelques groupes de rock, j'ai intégré, fin 1968, le Groupe de recherches musicales où je suis resté un peu moins de trois ans. Cela a été déterminant pour mon avenir. Plus qu'un professeur, Pierre Schaeffer a été un véritable mentor pour moi : pour la première fois, j'étais en face de quelqu'un en train de penser la musique en termes de sons et non de solfège. L'époque - nous étions au lendemain de mai 1968 - était au rejet de la tradition et cet élan révolutionnaire prenait corps dans la pensée de Schaeffer.
Philippe Thanh: Après le GRM, vous composez un ballet pour l'Opéra de Paris...
Jean Michel Jarre: Il s'agissait d'Aor, une commande du GRCOP, le Groupe de recherches chorégraphiques de l'Opéra de Paris. La création en 1971 a fait un peu de bruit, au sens propre du terme : la moitié de la salle applaudissait, l'autre criait au scandale. C'était la première fois qu'on entendait de la musique électroacoustique au palais Garnier.
Philippe Thanh: Quinze ans après sa disparition, quelle influence conserve Schaeffer dans le monde musical ?
Jean Michel Jarre: Si aujourd'hui l'électronique est si largement répandue dans la musique, c'est à Pierre Schaeffer qu'on le doit. De ce point de vue, je regrette vraiment que son centenaire n'ait pas été plus largement médiatisé. Il n'a pas seulement réfléchi sur la musique concrète, mais aussi sur les médias de la musique qui font qu'aujourd'hui la même musique peut être diffusée partout, en même temps et de la même manière. Et des musiciens d'aujourd'hui, qui n'ont même jamais entendu le nom de Schaeffer, lui sont pourtant redevables. Ainsi, les DJ qui font des boucles sur des platines vinyle le doivent au "sillon fermé", lorsque, à la fin des années quarante, Schaeffer découvrit l'intérêt musical de la répétition à partir d'un 78 tours rayé.
Philippe Thanh: Aujourd'hui, en quoi êtes-vous toujours redevable à Schaeffer ?
Jean Michel Jarre: À mon sens, un artiste n'a qu'une seule chose à dire et, toute sa vie, il essaie de s'en approcher de manière obsessionnelle. En ce qui me concerne, j'ai toujours voulu faire le lien entre musique classique, expérimentale et pop, sans négliger l'aspect mélodique, et c'est à Pierre Schaeffer que je le dois. Il y avait chez lui un côté bricoleur, iconoclaste et en même temps une grande rigueur sur le plan de l'analyse des objets sonores qui m'inspirent encore aujourd'hui.
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