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05 août 2013

3 questions sur… Créativité et technologie (1990)

1990


1) Ne trouves-tu pas que les progrès techniques sont inversement proportionnels au développement de la créativité et de l'imagination?
J-M J : "Le musicien, par définition, ne pense qu'à lui. Avec les presets, s'il entend un son qui lui plaît, il l'utilise sans se rendre compte qu'il y a cinq cent mille autres en train de faire la même chose. Il est seul face à une industrie, qui justifie l'originalité des instruments par des sons impressionnants mais standard. On arrive paradoxalement à une musique qui se veut de plus en plus originale et dans laquelle le concept d'originalité est banalisé dès le départ; les musiciens sont des victimes permanentes. Avec le DX7, les ingénieurs de chez Yamaha ont à un moment produit la couleur de toute une partie de l'industrie discographique mondiale et les musiciens servaient cette cause sans le savoir, ce qui s'est avéré finalement assez négatif. Pour ceux qui ont la volonté de faire quelque chose de nouveau, il faut absolument proscrire les sons d'usine, l'originalité revendiquée dans la susperposition de ces sons n'en étant pas forcément une.
Je veux toujours être en prise directe avec la matière sonore, ce qui était totalement impossible avant l'avènement des synthés, et qui rendait l'étude de la composition beaucoup plus abstraite, du moins pour l'orchestration. Au début de l'électronique, les progrès techniques étaient immenses, puis on est retombés dans le piège avec l'informatique qui nous fait passer trop de temps à comprendre des systèmes plutôt qu'à travailler sur le son. À cause de l'industrie qui nous fascine, on se fabrique artificiellement des barrières entre l'inspiration et la création. C'est un problème qu'il faut régler dans les dix ans. J'ai décidé de me servir de la technologie uniquement par rapport à ce que je veux, je prend un truc dans le Cubase, un dans le Notator, etc. Le côté "workstation" me fait l'effet d'être un chef de gare. J'ai envie d'avoir une attitude de plus en plus poétique (et non raisonnable) vis-à-vis de la technologie."

2) Y a-t-il un "son Jarre" en dépit des différences de travail d'un album à l'autre?
J-M J : "J'ai toujours voulu faire une musique qui ne soit pas de la chanson mais de la cuisine de son. Je suis en studio comme dans un laboratoire, j'ai remis derrière la console des instruments afin de pouvoir véritablement élaborer des musiques. Je ne fais plus de différences entre un ordinateur, un synthé, un clavier, la console, une chambre d'écho, un ADSR ou un filtre. Je considère tout, même les effets, comme des instruments à part entière.
J'ai fait des incursions dans les sons réalistes; je ne le regrette pas mais je sens que ce n'est pas profondément ce qui me correspond. C'est la vraie synthèse qui m'intéresse. Dans la musique comme dans n'importe quelle création, c'est l'artifice qui donne la vérité. Un vrai bruit de train pour évoquer un train est un bruitage tandis qu'un son fabriqué dans ce but devient musical. C'est le gros danger du sampling : prendre des sons très concrets et donc moins suggestifs. J'ai eu un problème pour intégrer, dans un univers entièreent fait d'emprunts comme celui de "Zoolook", la basse de Marcus Miller qui apportait un élément beaucoup plus brut. Nous avons dû, avec Frédérick Rousseau, sampler la basse de Marcus, la retraiter avec le Fairlight pour avoir une évocation de basse, au lieu d'une basse réaliste. Les fréquences des sons de synthé sont bien plus pauvres que les fréquences acoustiques. Le collage des deux produit souvent un décalage qui ne fonctionne pas. J'aile les ponctuations électroniques, faites avec des sons étrangers au climat, qui déséquilibrent un peu les choses, même culturellement. La boîte à rythmes Korg Minipop que j'utilise à certains moments est pour moi associée à ce côté dérisoire que l'on retrouve dans certains vieux films de Fellini par exemple. Cette relation avec la musique, en marge par rapport à une attitude conventionnelle de production, m'intéresse totalement. Je veux garder ce regard presque cinématographique par rapport au son."

3) Quelle est ta source d'inspiration essentielle?
J-M J : "C'est l'aspect mélodique qui m'a toujours intéressé, même quand j'étais au GRM (ce qui n'est pas trop de mise dans la musique expérimentale) mais j'ai l'impression que la mélodie n'a pas la même valeur pour moi que pour beaucoup de gens : c'est un ingrédient, pas un but. C'est une enveloppe de morceau, jouant sur le même niveau qu'un filtre. Cela vient comme un son."


Propos recueillis par Catherine Chantoiseau

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