20 janvier 2014
Musique de l’an 2000 pour une féerie tricolore (Le Figaro, 14/07/1979)
Depuis 190 ans elle attendait ça. Ce soir, à 22 heures, la place de la Concorde verra sa plus grande heure de gloire depuis la Révolution. Un 14 juillet à sa dimension. Le peuple à ses pieds. Les Tuileries embrasées, mais d’un feu d’artifice. Les canons braqués sur ses édifices, mais qui ne cracheront que des images. Et au milieu de tout cela, un très jeune homme au visage de Saint-Just, mais musicien comme Rouget de Lisle. Jean-Michel Jarre, l’auteur-compositeur-metteur en scène de « bleu, Blanc, Rouge », spectacle audiovisuel commandé par la mairie de Paris pour fêter dignement une date mémorable entre toutes.
Au pied de l’Obélisque des kilomètres de câbles se tordent comme des serpents sur un trottoir jonché de lunes multicolores. Voilà pour l’oreille et, voilà pour l’oeil. Les câbles serviront à renvoyer des quatre coins de la place la musique de Jarre en quadriphonie. Les lunes insolites sont des caches de gélatine destinées à transformer les projecteurs en drapeaux patriotiques.
Sur la scène tendue de noir, Jean-Michel Jarre dispose « l’orchestre » qui jouera sa musique des extraits de ses deux oeuvres maîtresses Oxygène et Equinoxe.
- Où sont vos instruments, vos musiciens ? demande un photographe qui croit avoir affaire à une espèce de Karajan.
Jean-Michel Jarre désigne une trentaine d’appareils très jolis tableaux de bord d’acier poli constellés de boutons du plus bel effet des synthétiseurs.
Quoi pas de violons, pas de clairons, ni de piano ?
Jean-Michel Jarre s’apprête à fêter le 14 juillet sans tambour ni trompette.
- Depuis trois cent ans, explique-t-il, on s’obstine à jouer de la musique avec des instruments à cordes ou à vent conçus selon les besoins spécifiques d’une époque révolue. Aujourd’hui, tout a évolué. Les cassettes, la radio, la télévision ont remplacé l’orchestre. C’est l’ère de l’électro-acoustique. Chacun de mes synthétiseurs a remplacé un instrument. Le piano ; le violon de l’an 2000, c’est eux. »
Mais qu’on ne s’y trompe pas. Jarre est un authentique compositeur. Le synthétiseur, c’est comme le violon ou la harpe. S’il n’y a pas l’inspiration derrière, ils ne servent à rien.
Autour de lui, la Concorde prend, au fur et à mesure que s’affairent les électriciens de la ville de Paris, une drôle d’allure. Les réverbères sont bleus, blancs ou rouges. Les spots dans les vasques des fontaines sont coiffés de papiers transparents de couleur comme des pots de confiture.
Quatre boules énormes à facettes rappelleront aux nostalgiques du temps du tango que Paris ce soir sera un vaste dancing.
Ce spectacle, c’est l’adjoint au maire chargé de l’animation et du tourisme Jean de Préaumont qu’on le doit.
Avec l’habitude désormais acquise que dès que quelqu’un en France a du talent on l’envoie faire ses preuves dans les pays étrangers qui l’apprécient mieux que nous, Jean-Michel Jarre en avait proposé l’idée aux Anglais. En apprenant la chose Jean de Préaumont a décidé de faire mentir le proverbe qui veut que nul ne soit prophète en son pays et demande à l’auteur de l’adapter aux circonstances.
Paris donc se souviendra ce soir de son histoire sur une musique de l’avenir que dirigera au pied d’un obélisque vieux de trente siècles, un jeune homme de trente ans. Par le truchement de l’ Eurovision et des relais par satellite, 350 millions de spectateurs pourront être témoins de l’événement.
Il est vrai qu’en 1789 une vieille Bastille qualifiée de « réservoir à grenouilles » et qui s’était laissé prendre sans trop résister n’a pas eu besoin de tant de tapage pour devenir au fil des siècles, le symbole mondial de la liberté.
00:00 Publié dans Interviews / Presse |
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