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15 février 2014

"Je m’inspire des modes, mais je n’y entre pas" (24 heures, 13/04/2007)

Une tête d’ado ébouriffé et un savoir-vivre de gentleman, Jean Michel Jarre est paradoxal comme sa musique, à la fois hyperpopulaire et hyper- sophistiquée. Interview à l’occasion de la sortie de Téo et Téa, dernier album très réussi. Blouson de cuir blanc et brun et jeans gris, Jean Michel Jarre a l’élégance branchée. A cinquante-neuf ans, son visage est celui d’un enfant coiffé d’une tignasse indisciplinée. Il soupire, prêt à subir le énième entretien de sa promo. Mais sa réserve fond à l’écoute de son tube planétaire Oxygène, enregistré sur un petit dictaphone de journaliste pas techno du tout. Sourire aux lèvres, le pionnier de l’électro s’ouvre à la vie.

Que ressentez-vous encore à l’écoute d’Oxygène ?
– C’est comme si je l’avais composée hier, car j’ai un rapport au temps particulier. Cette musique m’a accompagné dans le monde entier. Parfois, elle m’a même précédé. Comme en Nouvelle-Zélande où je n’étais jamais allé et où j’ai découvert que c’était le générique du journal TV. C’est donc une musique qui me fait voyager dans le temps et dans l’espace.
Téo et Téa est un excellent nouvel album, plus tourné vers l’humain…
– Le thème de l’album est lié à la rencontre, aux sensations et aux sentiments de l’humain. Je l’ai fait avec une certaine jubilation. J’ai travaillé avec des instruments non virtuels comme des synthétiseurs. Cela m’a permis d’avoir un rapport plus organique et plus sensuel avec le son.
Est-ce aussi une rencontre avec vous-même?
– Oui. Je me suis beaucoup rapproché de mon père ces dernières années. Son absence était une béance qui m’a marqué. Le revoir m’a réidentifié et aidé à mieux me repérer. J’ai finalement pu dire des choses que je ne pouvais pas exprimer avant, par incapacité psychologique.
Concernant la musique, voyez-vous une filiation avec celle de votre père?
– Non. J’ai grandi loin de son sillage. Mes musiques de films sont plus influencées par Ennio Morricone ou Nino Rota. Mais Maurice Jarre a fondamentalement changé le rapport de la musique et de l’image. Il a été l’un des premiers à marquer au fer rouge l’ambiance d’un film avec un thème musical. On écoute trois notes du Dr Jivago et l’on revoit les images
Vous possédez aussi cette cohérence musicale?
– Je ne suis pas tourné vers le passé, mais lorsque je compose, c’est comme si j’ouvrais une porte et que je rentrais chez moi. Je n’ai jamais été à la mode. Je m’inspire des modes, mais je n’y entre pas. Quand il y a eu l’explosion de l’électro, cela ne m’a pas empêché de continuer à dire les choses à ma manière. Téo et Téa est un album fidèle à mon univers et en phase avec ce que j’ai envie d’écouter en 2007.
D’où vous vient ce besoin de concerts à l’extérieur?
– Je vais vous dire une chose à laquelle je viens de penser: c’est ma claustrophobie. Je me demande si ce n’est pas une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire des concerts à l’extérieur. Ma mère a été déportée en Allemagne. Elle a subi un bombardement dans un wagon. Autour d’elle, beaucoup de gens sont morts d’étouffement. Elle a survécu, mais elle a été claustrophobe longtemps et m’a transmis ce traumatisme. Une autre raison, c’est qu’il fallait mettre en scène les instruments électroniques et inventer une grammaire scénographique qui permet de «voir» la musique.
Quels territoires vous restent-ils à explorer?
– Plus vous creusez votre chemin, plus les territoires s’ouvrent à vous et dessinent des chemins innombrables. C’est une histoire sans fin. Il y a donc de plus en plus de choses que j’ai envie de faire, notamment des musiques de film. J’ai peu abordé ce genre car je crois que, psychanalytiquement, c’était le territoire du père.
Quels sont les cinéastes avec lesquels vous aimeriez travailler?
– Plein. Je viens de terminer la musique d’un film de Volker Schlöndorff, le réalisateur du Tambour. Il y a aussi David Lynch dont le film Sailor et Lula m’a suivi pendant la gestation de ce dernier album. Et puis, il y a des cinéastes comme Steven Soderbergh, pas tellement pour Ocean’s eleven, mais pour les films qu’il a pu faire avant, très oniriques. Le réalisme et l’expressionnisme ne m’intéressent pas, quel que soit le domaine. J’ai besoin qu’on m’emmène dans des endroits fantastiques.
Est-ce pour cela que vos compagnes sont toutes comédiennes?
– Oui. J’ai besoin d’être emmené au quotidien dans un rêve. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas le sens des réalités. J’aborde simplement la réalité avec un angle et un point de vue. J’ai vu un jour, en Indonésie, un enfant nu dans une rivière qui riait. Il n’avait rien. Ni parents, ni vêtements, ni nourriture; son espérance de vie était moindre et il éclatait de rire en voyant le soleil se lever. Pour moi, ça a été une expérience de vie incroyable.
Finalement, votre choix de l’électro était-il courageux?
– Non, car j’étais totalement fasciné par Pierre Schaeffer. Sa manière de faire de la musique, un peu comme on fait la cuisine, en triturant des notes et en mélangeant les fréquences était une approche très concrète et sensuelle du son qui m’a séduite.

00:00 Publié dans Interviews / Presse | | Tags : coupure presse, téo et téa, 2007 |  Facebook | | |