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24 février 2013

Jarre sur le 5.1 de l'album AERO et du concert de pékin (2004)

7è FISM, (Forum du son Multicanal) vendredi 5 novembre 2004, 17h30, CNSMDP / Invité : Jean Michel Jarre

Jean Michel Jarre : Si j'ai fait la musique que j'ai faite, c'est grâce à Pierre Schaeffer, que certainement beaucoup ici connaissent bien, et qui dirigeait le Groupe de Recherches Musicales (GRM). Quand j'ai commencé à étudier la musique électro-acoustique, dont la diffusion multicanal constitue un aspect de base, le disque, stéréophonique à l'époque, m'a toujours semblé limité. Je me suis coincé, limité à deux dimensions, donc à une image plate, devant moi, alors que la musique peut en exploiter trois. J'ai donc toujours rêvé de pouvoir travailler en 3D. Même si la quadriphonie a existé à un certain moment, elle est malheureusement restée au stade expérimental, sans rencontrer de succès auprès du grand public. C'est avec le home cinéma, surtout après l'apparition du DVD, que le grand public a eu accès à des installations 5.1 pour, aujourd'hui, quelques centaines d'euros (même 100 !), ce qui permet au plus grand nombre de s'équiper.

C'est pour cette raison que mon dernier album, Aero, a été prévu en 5.1 dès le départ, en donnant la priorité à cette version plutôt qu'à la version stéréo sur le CD. La difficulté a d'ailleurs consisté à faire comprendre à ma maison de disques que le DVD n'est pas seulement aujourd'hui un support pour l'image, mais aussi pour la musique, dès l'instant où on se met à vouloir travailler en multicanal. Donc, j'ai été confronté au problème de concevoir, en studio, de la musique en 5.1, et, une fois lancé dans l'enregistrement de l'album, j'ai eu envie de revisiter en multicanal quelques-uns de mes anciens morceaux, que j'avais entendus à l'époque en trois dimensions, mais qui n'existaient qu'en version stéréo. Quand j'ai commencé à travailler sur mon Pro Tools, les plug-ins au format 5.1 n'existaient pratiquement pas, et j'ai été confronté au problème que nous connaissons tous, que le monde de la musique est habitué, formaté, à la stéréo, que ce soit en enregistrement ou en mixage, et ceux qui ont une habitude du 5.1 sont rares. Cette expérience est beaucoup plus répandue dans le monde du cinéma, ils ont développé des critères de spatialisation, mais toujours au service de l'image : le traitement des canaux arrière, par exemple, est tout à fait différent de ce dont un musicien a besoin. Pour lui, l'avant et l'arrière possèdent une importance égale, il est susceptible d'y placer n'importe quel type de son, ce qui n'est pas le cas du cinéma, où la musique est essentiellement à l'avant, de chaque côté des dialogues de l'enceinte centrale, avec éventuellement un peu de réverbération dans les canaux arrière. J'ai pour ma part considéré le mixage un peu comme une direction d'orchestre, qui met en lumière tel ou tel aspect des arrangements. Je pensais que le mixage 5.1 serait plus facile, mais j'ai rencontré des difficultés au fur et à mesure.

En fait, le 5.1 est plus compliqué que la stéréo, et déjà à l'enregistrement. En stéréo, on peut se permettre d'être plus flou, les sons se rentrent les uns dans les autres, et leur interaction brouille le jeu, ce qui arrange la sauce du studio. En 5.1, tous les instruments se retrouvent isolés dans l'espace, et toute faiblesse dans le jeu apparaît immédiatement. De la même manière que la stéréo a changé la manière d'enregistrer en studio, je suis convaincu que le 5.1 va faire naître une nouvelle forme de musiciens. C'est plutôt la technologie qui génère les styles musicaux plutôt que l'inverse : ce n'est pas Vivaldi qui a inventé le violon, c'est parce que le violon s'est amélioré que Vivaldi a pu composer ses œuvres. Même chose pour le rock avec la guitare électrique, même chose pour les 78 tours, qui ont poussé les pionniers de l'enregistrement à des chansons ou des morceaux de 3 minutes, et aujourd'hui, la technologie du 5.1 reconstitue l'émotion musicale de façon plus organique, plus sensuelle, qu'on écoute un prélude de Chopin au piano ou de la musique électronique.
On sait aussi que dans l'histoire de la transduction sonore, tout a évolué sauf le haut-parleur. Même s'il a évolué, il s'appuie toujours sur le même principe, un morceau de carton dans un coffret pour diffuser de l'énergie sonore à certaines fréquences. La prochaine révolution sera de passer à une diffusion multisource, qui permettra de créer l'impression de profondeur qu'on ne peut pas restituer en stéréo.

Autre aspect : la restitution du son d'un concert dans une salle pose aussi un certain nombre de problèmes. J'ai eu l'occasion récemment de donner un concert à Pékin dans le cadre de l'année de la Chine, et pour la première fois, nous avons tenté, avec Christian Heil de la société V-DOSC, d'effectuer une spatialisation du son en extérieur, et je crois qu'on est arrivés à un résultat tout à fait satisfaisant. Nous sommes sortis de la philosophie de la sonorisation habituelle, qui consiste à empiler des enceintes de chaque côté de la scène. Nous avons découpé dans la zone réservée au public des carrés de 30 mètres sur 30 mètres, soit environ 3000 personnes, et nous avons défini à chaque fois un système de sonorisation 5.1. L'essai a été tout à fait probant, avec une approche tout à fait différente de celle en vigueur dans les salles de cinéma. À l'occasion de la sortie de l'album Aero, en effet, j'ai eu l'occasion de faire la promotion de l'album un peu partout en Europe, et dans certains pays, on a fait écouter cette musique dans des salles de cinéma, et ça pose évidemment un certain nombre de problèmes, dans la mesure où les enceintes d'un cinéma se prêtent mal à une écoute 5.1 musicale… Il faut compter sur ce problème quand on travaille en 5.1 : la partie arrière, surtout, réagit très mal à des spatialisations ou de trajectoire de sons.
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12:45 Publié dans Interviews / Presse | | Tags : aero, 5.1, studio, pékin, 2004 |  Facebook | | |